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Territoires

« La Poste est le dernier rempart du service public de proximité »

Directrice générale adjointe du Groupe La Poste, en charge de la branche Grand Public
et Numérique, Nathalie Collin pilote 50 000 collaborateurs engagés au service d’un maillage territorial unique. Elle défend le rôle essentiel de l’entreprise postale face à la fracture numérique et à la désertification des territoires. Et affirme ses ambitions en matière de souveraineté numérique et de transformation managériale.

Marc Ferracci(18)

Quel rôle spécifique La Poste joue-t-elle dans la cohésion territoriale?

Nathalie Collin La première mission de la branche Grand Public et Numérique, c’est la cohésion territoriale. La Poste assure quatre missions de service public pour le compte de l’État, dont l’aménagement du territoire. Aujourd’hui, grâce à 17 000 points de contact postaux, plus de 90 % de la population est à moins de 5 kilomètres ou à moins de vingt minutes en voiture d’un point de présence. Nous sommes de plus en plus dans ce modèle. Il est essentiel de maintenir une présence dans les territoires. Je me suis battue et je continuerai de me battre pour cela. Pour deux raisons : la première, c’est qu’un tiers de la population reste éloigné du numérique – et ce chiffre, malheureusement, ne diminuera pas, à l’heure de la dématérialisation des services et de la multiplication des fraudes, qui contraignent les systèmes numériques. La seconde, c’est que La Poste est bien souvent le dernier commerce du village. Notre rôle d’aménageur du territoire est donc encore plus crucial, en consolidant ce dernier vecteur de lien social et de services accessibles partout, pour tous, que ce soit en mutualisant avec les mairies ou avec les commerces locaux. Nous incarnons plus que jamais le service public de proximité.

Que signifie concrètement cette proximité face aux fractures territoriales et sociales ?

N. C. Dans un pays où les fractures ne cessent de croître, je suis convaincue que La Poste fait partie des solutions dont nous avons collectivement besoin. Pour maintenir cette présence physique nécessaire, notre premier défi est d’offrir de nouveaux services qui attirent du public, de diversifier nos activités pour équilibrer notre modèle économique tout en restant fidèles à nos valeurs de service et de proximité. Et nous y parvenons ! À titre d’exemple, nous détenons plus de 50 % du marché du passage du code de la route, ce qui génère du trafic et répond à une véritable attente des jeunes. C’est la même dynamique avec les colis Vinted ou les maisons France services : nous en comptons plus de 400. La branche constitue l’accès au client pour le Groupe La Poste. Les nouvelles offres d’assurance disponibles – scolaire et bientôt chien-chat ! –  en bureau de poste et la Box La Poste Mobile lancée il y a quelques jours connaissent d’ailleurs un formidable succès. Face à la fracture démographique qui nous guette, face au « mur du grand âge », les besoins de services à domicile vont exploser. Nous sommes les seuls à disposer d’un maillage de terrain capable d’assurer une vraie qualité de service de proximité dans les années à venir. Pour cela, La Poste doit tenir sur ses deux jambes : développement et service public.

En situation de crise, comme lors du cyclone à Mayotte, comment La Poste a-t-elle organisé sa flexibilité territoriale ?

N. C. À la suite du cyclone Chido, les postières et postiers mahorais ont fait preuve d’une résilience remarquable et nous avons, en étroite collaboration avec les acteurs locaux, reconstruit le service public en quelques semaines. Malgré les destructions, les postières et postiers ont assuré la distribution des prestations sociales dans les bureaux, où 10 000 clients ont pu retirer ces aides essentielles. Ils ont aussi trouvé des solutions pour que chacun reçoive son courrier et ses colis. En soutien aux services locaux, ils ont prêté leurs véhicules à EDF et mis à disposition des pharmacies leur réseau wifi pour faciliter leurs commandes. Aujourd’hui, 13 des 14 bureaux sont pleinement opérationnels. Même dans les moments les plus difficiles, nous avons un service public exceptionnel, une belle solidarité et nous tenons notre promesse de proximité. Je tiens d’ailleurs à saluer l’engagement quotidien de l’ensemble de nos postières et postiers, qui chaque jour effectuent un travail formidable.

Quels leviers vous permettent de rivaliser avec les grandes plateformes mondiales ?

N. C. Je mène la transformation numérique du Groupe depuis douze ans, avec la conviction qu’un opérateur français doit assurer la souveraineté numérique. Avec Docaposte, c’est ce que nous faisons. C’est dans cet esprit que nous avons, par exemple, racheté et développé Pronote, le premier logiciel de vie scolaire pour la gestion des élèves. Aujourd’hui, Docaposte génère un chiffre d’affaires de près d’un milliard d’euros, c’est un véritable relais de croissance pour La Poste. Les GAFAM sont incontournables, mais il existe des niches où nous pouvons offrir un important service comme l’identité numérique, un enjeu clé de souveraineté : la moitié des démarches se font en bureau de poste, où un interlocuteur est présent en cas de problème. Nous comptons aujourd’hui plus de huit millions d’identités numériques et sommes largement leaders sur le marché. Ce qui est intéressant, c’est que nous conjuguons cela avec l’inclusion numérique. Chaque année, nous accompagnons près de 2,5 millions de personnes dans l’inclusion sociale et numérique dans les bureaux de poste. Pour ce faire, nous disposons d’outils, de conseillers numériques et de médiateurs qui œuvrent en partenariat étroit avec les associations. Car c’est ça aussi, être postier.

Comment le numérique transforme-t-il le quotidien de vos collaborateurs et celui des usagers ?

N. C. Les postiers incarnent pleinement la notion de souveraineté dans leurs missions au quotidien. D’abord, parce que chacun prête serment, garantissant ainsi le secret de la correspondance. Ensuite, parce que la protection des données, y compris numériques, fait désormais partie intégrante de leur engagement. Depuis 2015, tous les postiers de terrain sont formés aux enjeux liés à la data et à l’intelligence artificielle. Ils sont également équipés de smartphone pour accompagner les usagers de façon plus agile et efficace, en bureaux de poste. Aujourd’hui, l’ensemble de nos offres est accessible en format à la fois physique et numérique. Si un service n’est pas immédiatement disponible en bureau de poste, les agents peuvent guider les usagers via leur smartphone pour accéder à l’alternative numérique. Ce virage digital a déjà été largement adopté par les postières et les postiers. Demain, nous pourrions faire des bureaux de poste de véritables avant-postes des services publics, avec la capacité de réaliser des démarches France services directement sur place, comme c’est déjà le cas en Corse. J’ai une conviction forte : le numérique ne remplace pas l’humain, mais lui donne le loisir de se concentrer sur l’essentiel, le service au client et au citoyen. Depuis plus de dix ans, c’est ce que j’ai porté au sein du groupe : le numérique a transformé le quotidien des postiers et des clients.

Vous avez commandé une étude sur les fractures territoriales. Quels enseignements en tirez-vous ?

N. C. Nous avons mené une étude1 auprès de 3 400 Français, du 19 août au 4 septembre 2024. Ce qui en ressort, c’est une vision très sombre de la société, perçue comme individualiste et fragmentée. On observe aussi une forte interdépendance des fractures : inégalités d’accès aux soins, au numérique… qui touchent une même partie de la population. Sans accompagnement physique, un tiers des Français risquent d’être tenus à l’écart de l’État et des services publics. Pourtant, beaucoup disent apprécier vivre en ruralité, où le lien social est perçu comme étant le plus fort. Dans cette société fragmentée, La Poste est identifiée comme un acteur clé de la cohésion sociale et territoriale. Comme la presse s’est transformée, La Poste devra, elle aussi, développer encore davantage le service, pour être toujours plus utile, toujours plus présente, main dans la main avec les élus locaux, dans le cadre notamment de notre gouvernance territoriale avec l’État et l’Association des Maires de France.

Vous évoquez souvent la « symétrie des attentions ». Comment définissez-vous ce principe ?

N. C. Lorsque j’ai créé la branche Grand Public et Numérique, il y a cinq ans, la qualité de service était insuffisante. Or, on ne peut l’améliorer sans agir en même temps sur les conditions de travail et l’engagement des collaborateurs. J’ai donc fait de ces deux leviers l’alpha et l’oméga de notre stratégie. La symétrie des attentions, c’est précisément cela : en améliorant les conditions de travail et le dialogue avec les représentants des salariés, on améliore la qualité de service. Et ça a fonctionné. En quatre ans, la qualité de vie au travail a nettement progressé, et la note Google des bureaux de poste a doublé. En mettant les équipes en capacité d’agir – avec des outils fiables, des offres claires, des garanties sur l’emploi -, en faisant du dialogue social avec les organisations syndicales un pilier essentiel de la transformation – nous avons signé le 4e accord social de branche avant l’été -, l’engagement des postiers a naturellement augmenté. Et plus ils sont engagés, mieux ils servent les clients. Aujourd’hui, c’est ancré dans la culture des postiers de terrain. Ils savent que de bonnes conditions de travail améliorent le service et, ce qui est formidable, c’est que les clients le leur rendent. Un bon avis Google ou un bon score NPS, c’est une vraie reconnaissance pour eux. 

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