La gauche se fracture – France-Russie – Vains amendements budgétaires. L’Hémicycle décrypte ce qu’il s’est passé cette semaine à l’Assemblée.
Confidentiel #1
Les députés gardent un œil sur Moscou
Il y aura bien un groupe d’amitié France-Russie à l’Assemblée nationale. L’avenir de ce groupe avait été remis en cause à la suite de l’invasion de l’Ukraine ordonnée par Vladimir Poutine en février dernier. Il aurait pu devenir un simple « groupe d’étude à vocation internationale », mais, justifie un membre de la majorité, « on ne peut pas insulter l’avenir ; il faut continuer à parler aux Russes ». La présidence de groupe est ainsi convoitée par le camp présidentiel, tout comme celle du groupe d’amitié France-Ukraine.
Confidentiel #2
Connaissez-vous le groupe VL ?
Où sont passés Les Républicains ? Un député de la majorité surnomme leur groupe « Véronique Louwagie », du nom de cette députée LR de l’Orne. En effet, elle était quasiment la seule à défendre les positions de la droite pendant une semaine, jour et nuit, sur le projet de loi de finance.
Confidentiel #3
Retraites : la droite dit non
Les Républicains ne devraient pas voter la future réforme des retraites. Valérie Pécresse, qui fut candidate du parti à la présidentielle, avait pourtant fait campagne pour décaler l’âge de départ à 65 ans. Alors, pourquoi ? L’opinion publique est très largement contre cette mesure et les électeurs de droite se montrent très critiques sur le terrain.
MOTIONS DE CENSURE : FRACTURE STRATÉGIQUE À GAUCHE
Par Annabel Roger
Faut-il déposer une motion de censure à chaque 49.3 ? Pour LFI, c’est oui, pour ses alliés, plutôt non.
Il y aura bien une troisième motion de censure de gauche à l’Assemblée nationale, à la suite du déclenchement mercredi soir du 49.3 sur le projet de loi de finance de la sécurité sociale (PLFSS), mais elle ne sera pas estampillée de la Nouvelle union populaire, écologiste et sociale (Nupes). Les socialistes et les communistes ont prévenu qu’ils ne la signeraient pas. Il s’agit là de la première divergence sérieuse au sein de l’union.
Faut-il déposer une motion de censure à chaque 49.3 ? La question provoque une tempête dans le crâne des députés de gauche et marque une ligne de fracture stratégique entre deux camps. Pour les insoumis, c’est clairement oui. « Nous sommes attachés à déposer une motion de censure à chaque 49.3, car il est impossible de laisser le gouvernement agir ainsi sans réaction parlementaire », affirme la présidente du groupe La France insoumise Mathilde Panot. Un point de vue que ne partagent pas les autres membres de l’alliance, ni les socialistes ni les écologistes ni les communistes. Les plus virulents sont les communistes : « Trop de procédure nuit à la procédure, estime Sébastien Jumel, député communiste de Seine-Maritime. Nous ne voulons pas nous enfermer dans un schéma systématique ».Les socialistes sont exactement sur la même ligne, estimant qu’« une utilisation récurrente de la motion de censure dévaluerait cet outil qui doit être circonstanciée et nécessaire ». En clair, la motion de censure est une arme de fond, et non de principe : sa finalité est l’opposition à un texte et à une politique, elle ne doit certainement pas avoir pour unique but d’essayer de faire tomber le gouvernement…
D’autant qu’il n’y a pas d’alternative possible à la majorité relative actuelle : aucune coalition de l’extrême gauche à l’extrême droite n’est envisageable en France, contrairement à ce qui a pu se faire en Italie, par exemple. Pour les socialistes, les écologistes et les communistes, l’objectif n’est donc pas de renverser le gouvernement Borne, mais bien de le contraindre à prendre en compte certaines de leurs propositions. Entre les révolutionnaires insoumis et l’opposition classique, le rapport de force est presque équilibré entre pro et anti-motions systématiques : sur 151 députés Nupes, 75 sont LFI et 76 socialistes, écologistes ou communistes.
Ne pas signer une motion de censure est une chose, mais qu’en sera-t-il du vote ? Sur ce point précis, les Verts reconnaissent à demi-mot être coincés et s’attendent à se voir forcer la main pour voter une motion de censure de LFI, sous peine de donner une image désunie à la majorité et à la droite… qui n’attendent que cela.
DE VAINS AMENDEMENTS BUDGÉTAIRES
Par Pierre Januel
Le budget reste l’essence même de l’action gouvernementale. Comment, dès lors, les députés peuvent-ils apporter leur pierre ?
A l’Assemblée, le marathon budgétaire continue. Après les débats compliqués sur les recettes de l’État, les députés discutent désormais de ses dépenses, mission par mission. Cela va occuper l’hémicycle pendant deux semaines, non sans surprises. La semaine dernière, les débats en commission sur le budget de l’outre-mer ont ainsi été un festival : l’opposition a fait adopter des dizaines d’amendements. Certains coûtaient plusieurs millions d’euros, d’autres étaient contradictoires entre eux…
Dans le passé, peu d’amendements budgétaires étaient adoptés. Cela arrivait quand le problème était réel et que la majorité souhaitait marquer le coup. Mais, depuis juin, le camp présidentiel n’est plus majoritaire. Si les députés se lâchent autant, c’est qu’ils cherchent à revendiquer des victoires auprès de leurs électeurs – tout en sachant que, grâce au 49.3, dont il assume l’usage répété, le gouvernement fera ce qu’il veut en intégrant dans le texte final, seulement une poignée de ces amendements adoptés.
En réalité, l’exercice de ces amendements budgétaires est souvent vain – même sans 49.3. D’abord, parce que s’il veut ajouter des crédits à un programme budgétaire, le député doit obligatoirement les prendre sur un autre programme de la même mission. Ainsi, pour financer son bouclier tarifaire pour les entreprises (5,7 milliards d’euros…), les députés de La France insoumise ont dû trouver des marges dans le budget du climat et des infrastructures de transport. Délicat, quand les mêmes ne cessent de dénoncer les aides aux entreprises… Si leur amendement est finalement adopté, les députés espèrent que le gouvernement – qui peut, seul, engager des dépenses nouvelles – compensera la dépense par un amendement spécial. Pour contourner ce problème, LFI a pris l’habitude, ces quelques années, de déposer des amendements budgétaires qui ne coûtent qu’un euro. L’impact est, donc, limité, mais cela permet de faire mousser le sujet.
En fin de compte, les députés ne votent que des plafonds de crédits. Rien n’oblige un gouvernement à consommer tout l’argent présent dans un programme. Il peut même saupoudrer les fonds entre les différentes missions si le besoin se fait sentir. Pour une raison simple : le budget reste l’essence même de l’action gouvernementale. Le Parlement est là pour contrôler l’usage des deniers publics et mettre des bornes. Et non pour se substituer au pouvoir exécutif.