En l’espace de quelques jours, deux initiatives parlementaires sont apparues sur un même sujet : la régulation du marché de la mode en ligne. Le groupe Horizons et un député Les Républicains à l’Assemblée nationale sont montés au créneau pour juguler/maîtriser l’explosion de la « fast-fashion », avec deux propositions de loi de distinctes. Mais le chemin est encore long avant leur adoption et leur mise en place.
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« Le mieux est l’ennemi du bien », écrivait Voltaire, « mais le pire est l’ami de l’excès » rajoutait, avec humour, Pierre Dac. En quelques jours, l’actualité politique française a vu fleurir pas moins de deux initiatives parlementaires destinées à encadrer les pratiques de la « fast-fashion ». Alors que l’industrie de la mode en ligne est régulièrement critiquée pour son impact sur l’environnement et pour l’utilisation de méthodes qui encourageraient l’hyperconsommation, les ONG pointent du doigt depuis plusieurs années les pratiques des géants du secteur, comme Shein, Primark, Zara ou H&M. Des acteurs au cœur d’une nouvelle polémique, alors qu’ils n’ont jamais été aussi populaires auprès des consommateurs français et européens.
L’Assemblée nationale mobilisée
La première de ces initiatives, proposée le 30 janvier dernier par Anne-Cécile Violland, avec le soutien du groupe Horizons au Palais-Bourbon, est principalement axée sur la sensibilisation des consommateurs et la responsabilisation des acteurs de l’industrie. Elle propose d’abord de modifier significativement le code de l’environnement dans le but d’imposer aux acteurs de l’industrie qui produisent, distribuent et importent un certain seuil de produits (selon des critères qui seront définis plus tard par décret), d’afficher sur leurs plateformes de vente en ligne des messages encourageant activement le réemploi et la réparation des produits, tout en sensibilisant sur leur impact environnemental. Toutes ces informations devraient alors être indiquées à côté des prix affichés en ligne pour influencer le comportement d’achat en faveur de pratiques plus durables.
Le second article de la proposition d’Anne-Cécile Violland porte sur le principe de la responsabilité élargie du producteur (REP) de l’industrie textile, avec une modulation des contributions financières en fonction de l’impact environnemental et carbone des produits. Concrètement, un malus d’un montant maximal de 10 euros serait appliqué sur les produits jugés les plus néfastes pour l’environnement.
Enfin, son article 3 propose d’interdire purement et simplement la publicité pour les produits de la fast-fashion.
De son côté, le 19 février dernier, le député Les Républicains Antoine Vermorel-Marques annonçait sur son compte TikTok son intention de « démoder » la fast-fashion en déposant une autre proposition de loi basée sur un système de bonus-malus : une pénalité financière qui pourrait aller jusqu’à 5 euros pour les articles achetés auprès de marques proposant un nombre de références au-delà d’un certain seuil, ciblant ainsi directement certains groupes, comme le Singapourien Shein.
Adoption difficile
Ce duo de propositions n’a pas pour autant doublé les chances d’adoption d’un encadrement efficace de la fast-fashion, bien au contraire. Les deux propositions se gênent, au point de s’annuler.
D’abord, la proposition d’Anne-Cécile Violland, pilotée par le groupe Horizons dont elle fait partie, pourrait avoir du mal à recueillir la majorité nécessaire à son adoption : déposée dans le dos des autres partis de la majorité — et, en premier lieu, duquel le groupe Renaissance — la mesure « anti-fast-fashion » prend de court le camp macroniste. Ce dernier comptait justement se positionner sur ce sujet avec son « éco-score textile », une étiquette destinée à informer les consommateurs sur l’impact environnemental des vêtements. Un « parasitage » en règle de la communication prévue par l’Élysée et Matignon qui a sensiblement refroidi les relations du groupe Horizons avec ses petits camarades de la majorité… Réduisant sensiblement les chances d’adoption d’un texte qui ne pourra probablement pas compter non plus sur le soutien des élus Les Républicains ni des autres mouvements de gauche. Un drôle de paradoxe : la proposition de loi sème la pagaille dans la majorité, mais c’est cette même appartenance à la majorité qui rend difficile son adoption par les partis d’opposition.
Quant à la proposition de Vermorel-Marques, son adoption se heurte à la réalité d’un paysage politique fragmenté : l’initiative semble être un acte isolé du député LR qui ne s’est pas coordonné avec le reste de son groupe, demeuré très réservé sur le sujet. Faute du soutien de ses camarades parlementaires républicains, le député est déjà contraint de chercher du soutien au-delà de sa base. Mais une chose semble certaine : le député Vermorel-Marques n’aura probablement pas le soutien des trente députés Horizons qui, en coulisse, reprochent à cette PPL d’avoir éclipsé la leur en faisant le « buzz » sur les réseaux au détriment de leur travail parlementaire…
Une adoption d’autant plus difficile pour les deux propositions de loi que leur mise en œuvre concrète rencontre certaines difficultés : en englobant producteurs, importateurs et distributeurs à son article 1, la proposition de loi du groupe Horizons à l’Assemblée nationale impacterait des acteurs du textile bien au-delà des seules entreprises de la fast-fashion. Dans les couloirs du Palais-Bourbon, les poids lourds du prêt-à-porter et la FEVAD — le lobby du e-commerce — ont déjà signalé aux députés leurs craintes et leurs réticences pour un texte dont ils risquent d’être les victimes collatérales. Par ailleurs, le système des bonus-malus laisse lui aussi dubitatifs certains parlementaires, notamment à droite : comment établir un paramètre précis et actualisé en continu sur plusieurs millions de produits ? Certains craignent que l’administration soit dépassée par le volume à contrôler, pour un gain très relatif.
Des flous qui devront être éclaircis dans les décrets d’applications si l’une de ces propositions arrive toutefois à sortir indemne d’un combat parlementaire qui s’annonce musclé dans les prochaines semaines.
Enfin, c’est sans compter que l’Union européenne pourrait elle aussi jouer les trouble-fêtes. La Commission européenne travaille depuis plusieurs mois sur un projet de passeport numérique des produits (Digital Product passeport – DPP) qui vise précisément à contrôler le respect des règles d’écoconception des produits textiles en associant à chaque produit mis en vente un recueil de données électroniques incluant des informations sur son empreinte environnementale, son cycle de vie et ses certificats d’origine. L’Europe verrait donc d’un mauvais œil cette initiative solitaire de la France…