Ils ont tous deux grandi politiquement dans l’orbite du PS, et ils sont aujourd’hui tous deux candidats dans la même circonscription parisienne, la 7e de la capitale : Clément Beaune, ancien ministre macroniste, et Emmanuel Grégoire, premier adjoint de la maire de Paris Anne Hidalgo, s’affrontent aux élections législatives anticipées du 30 juin et du 7 juillet, respectivement sous la bannière Ensemble et sous celle du Nouveau Front Populaire. Reportage.
Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris, au marché Popincourt dans le 11e arrondissement de Paris. Photo : Mathieu Delmestre
Après un instant d’hésitation, ils s’avancent tout de même l’un vers l’autre pour une brève et sobre salutation. « Salut », lance Emmanuel Grégoire, premier adjoint (PS) à la mairie de Paris, à Clément Beaune, député sortant, ancien ministre et ex conseiller à l’Elysée. Vendredi 21 juin, marché Popincourt, dans le 11e arrondissement de la capitale. L’interaction des deux candidats dans la 7e circonscription de Paris aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet dure quelques secondes à peine. Le strict minimum. Puis ils repartent chacun de leur côté, sous le regard des passants et commerçants.
Les deux hommes, pourtant, se connaissent. Ils furent tous deux conseillers au cabinet de l’ancien premier ministre socialiste, Jean-Marc Ayrault, entre 2012 et 2014. Grégoire était son chef de cabinet, Beaune son conseiller budgétaire. Débutée sous les couleurs du Parti Socialiste, leur carrière politique a ensuite divergé. Le premier y est resté, le deuxième s’est embarqué dans l’aventure macroniste. « Je connais bien Clément, nous avons été collègues de travail, raconte Emmanuel Grégoire. Il a eu sa petite aventure au PS, puis il est parti à droite et je suis resté fidèle à ma famille… et puis voilà. » Le premier adjoint d’Anne Hidalgo, qui se présente pour la première fois à la députation, tenait intimement à ce que cette circonscription, qui regroupe le 4e arrondissement, une partie du 11e arrondissement et du 12e arrondissement, revienne au PS. Sa candidature, à l’en croire, représente une « force »face à celle de l’ancien ministre des Affaires européennes, puis des Transports, qui l’avait emporté dans ce territoire, en 2022.
Macron et Mélenchon ciblés
Des deux côtés, la tension est palpable : à un peu plus d’une semaine du premier tour des législatives, le temps presse. Malgré la pluie fine et la faible affluence au marché, les deux candidats s’activent, avec leurs équipes, à distribuer des tracts, saluer commerçants et visiteurs, échanger arguments et banalités. Certains habitant esquivent, d’autres disent leur colère. « C’est pour la majorité ? Surtout pas ! », s’exclame une dame à l’attention de Clément Beaune, en attendant sa commande de fruits et légumes. « Ah, c’est vous, les fachos de gauche ? », vocifère un jeune homme en passant devant deux étudiantes venues distribuer des tracts du Nouveau Front Populaire. Ambiance…
A l’évidence, la figure de Emmanuel Macron, 12 jours après la dissolution de l’Assemblée nationale, exaspère : « Monsieur Macron me sort par les trous de nez », lâche un vieux monsieur à Clément Beaune. Un autre homme se montre grinçant : « Sur l’économie, cela peut aller. Mais quand va-t-on réaliser que sur la sécurité, pas du tout ? Nicole Belloubet et Éric Dupond-Moretti, c’est une catastrophe ! » La personne de Jean-Luc Mélenchon, elle aussi, cristallise les tensions. Y compris chez les électeurs de gauche : « Vous ne pouvez pas dire à Mélenchon de la fermer ? », soupire, face à Emmanuel Grégoire, une dame au bras de son mari. Ou encore : « Vous enlevez les têtes de liste de LFI, vous les remplacez par des personnes intelligentes et là je voterai pour vous », s’exclament deux dames.
Sur le terrain, difficile de déceler une tendance, donc, dans cette circonscription où candidatent également Aurélien Véron pour LR et Céline Tacher pour le RN. Bien sûr, certains apportent franchement leur soutien aux candidats. Mais beaucoup le font par dépit : « En 2022, j’avais voté pour vous de bon cœur. Je vais quand même le faire, mais je ne suis pas enthousiaste du tout », confie un habitant du quartier à Clément Beaune. Un homme âgé de 93 ans, qui a pour sa part l’intention de voter à gauche, justifie son choix : « J’ai toujours voté à gauche. En 2022, j’ai voté pour la NUPES. Mais Monsieur Mélenchon est mon ennemi personnel. Il s’est désavoué lui-même. » Réplique de Clément Beaune : « Cela nous fait un point commun. Mais vous votez donc pour une alliance avec LFI ? » Embarrassé, l’homme répond : « Ah non ! Dans ma circonscription, ce n’est pas un candidat LFI, mais du parti socialiste. Ce n’est pas la même chose ! », s’exclame-t-il. Et d’ajouter, convaincu : « J’ai toujours voté à gauche, je ne changerai pas mon vote. »
« S’allier avec LFI est impossible »
Les discours, donc, se révèlent très personnalisés. Rares sont les passants qui n’évoquent pas les figures d’Emmanuel Macron ou de Jean-Luc Mélenchon pour justifier leur intention de vote. Une dualité que l’on retrouve dans le discours des deux candidats. « La politique, ce n’est jamais pur et parfait, concède Clément Beaune, qui exprime une certaine distance avec la politique menée par le président de la République. Est-ce que le gouvernement a fait des erreurs ? Oui. Est-ce que j’ai gagné tous mes combats ? Non. En politique, il y a toujours des désaccords. » L’ancien ministre, qui s’était notamment opposé, en interne, à la loi immigration, l’affirme : « Ma priorité et mon engagement reste la lutte contre l’extrême droite. J’aurais pu travailler avec la gauche, mais s’allier avec LFI est pour moi impossible. C’est un parti extrême et dangereux », continue-t-il en évoquant les propos tenus par le député Insoumis Aymeric Caron sur le viol à caractère antisémite de Courbevoie, ou encore le fait que sa collègue Danièle Obono a évoqué le Hamas comme un « mouvement de résistance ». Ces deux sortants ont été investis par le Nouveau Front Populaire.
Emmanuel Grégoire, pour sa part, relativise la prise de distance de son adversaire avec l’écosystème macroniste : « Il ne s’est pas opposé à Emmanuel Macron, assure le socialiste. Il a été son ministre pendant la totalité de sa législature, mis à part les cinq derniers mois. Il dit cela parce que c’est une circonscription qui a un électorat plutôt à gauche, donc il veut se repositionner par rapport à celui-ci. S’il était de gauche, il devrait me soutenir, parce que c’est moi le candidat de la gauche. Je ne crois pas que les électeurs tomberont dans le panneau. On ne peut pas naviguer à vue, en fonction de la force des vents », tacle le premier adjoint. Clément Beaune, pourtant, l’affirme, et rétorque : « J’essaie d’être cohérent. Je ne peux pas dire maintenant que je suis pour la retraite à 60 ans, non financée, alors que j’ai travaillé sur la réforme Touraine en 2013 avec Emmanuel Grégoire. C’est aussi pour cela que j’ai soutenu Hollande en 2012 : parce qu’il assumait une gauche de gouvernement, responsable et honnête ».
« Contre le RN, sans LFI »
L’ancien ministre d’Emmanuel Macron se dit prêt à composer avec d’autres forces parlementaires dans la cadre d’une coalition, qui semble inévitable pour contrer l’irrésistible ascension de l’extrême droite : « Le Parlement futur ne ressemblera en rien au Parlement sortant. Il y aura des alliances qui ne seront plus les mêmes. Ma conviction est que ni le RN, ni le Front populaire n’auront la majorité à l’Assemblée. Ma ligne est simple : contre le RN, sans LFI. Je veux travailler avec tous les sociaux-démocrates, avec les modérés clairs sur leurs valeurs, qu’ils viennent de la gauche et même des LR en rupture franche avec Ciotti », s’enthousiasme Clément Beaune.
De son côté, le socialiste se montre plus frileux et prend davantage de précautions. Selon lui, rien n’est encore joué d’avance face à « la menace mortifère du RN » : « Je ne considère pas qu’il y ait un camp du bien et un camp du mal. En revanche, il me semble hasardeux et prématuré de faire des conjectures sur la configuration dans laquelle sortira l’Assemblée nationale. Ma priorité est que le nouveau Front populaire soit le plus haut possible et en situation de gouverner le pays. Le reste est secondaire », avance Emmanuel Grégoire. Voilà au moins un point sur lequel les deux candidats sont d’accord : ils sont tous deux fermement opposés à l’idée d’une majorité RN à l’Assemblée nationale. Pour le reste… pas grand-chose en commun, même si tous deux chassent au centre gauche. Cela tombe bien : Beaune et Grégoire ne siégeront pas ensemble sur les rangs de l’Assemblée puisqu’un seul y sera envoyé, au soir du 1er juillet prochain.