Le Nouveau Front Populaire, arrivé en tête des élections législatives des 30 juin et 7 juillet, accentue sa pression sur le Président, qui encourage pour sa part à « bâtir une majorité républicaine ». À gauche, les négociations battent leur plein pour élaborer un gouvernement et désigner un candidat pour Matignon.
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Le prochain gouvernement français sera-t-il issu de la gauche, de la droite républicaine allié aux macronistes, ou dépassera-t-il les clivages partisans ? Cinq jours après le deuxième tour des élections législatives anticipées, le suspense demeure, la perspective de voir se constituer une majorité absolue reste incertaine. Et la bataille d’interprétation des résultats fait rage. Seule certitude : les quelques 300 désistements occasionnés par le front républicain orchestré dans l’entre-deux tours ont porté leurs fruits : à la surprise générale, Le Rassemblement National, largement arrivé en tête au premier tour, n’est arrivé qu’en troisième position, avec 125 députés qui siègeront à l’Assemblée nationale. Au nombre de 178, les députés du Nouveau Front Populaire représentent la première force politique de la chambre basse et revendiquent de ce fait le pouvoir. Quant aux macronistes, qui ont décroché 150 sièges, ils se révèlent profondément divisés, leur aile droite envisageant un rapprochement avec Les Républicains, arrivés en quatrième position avec 46 sièges.
Renaissance appelle à une alliance avec la droite, qui pose ses conditions.
« Personne ne l’a emporté », écrit le Président de la République dans sa lettre aux Français, publiée mardi avant son départ pour le sommet de l’OTAN à Washington. Pour lui, le résultat du scrutin de dimanche traduit une chose : les Français, largement mobilisés derrière le front républicain au second tour, ont exprimé « une demande claire de changement et de partage du pouvoir » entre forces républicaines. Voilà pourquoi il invite celles-ci à se rassembler pour former « une majorité se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’État de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française », soumet-t-il. Comprendre : sans le Rassemblement national, ni la France insoumise. À contre-courant du résultat des urnes, le ministre de l’Intérieur aussi, défend cette vision : « Nous avons perdu ces élections, mais personne n’a gagné », dit-il sur Europe 1, avant de renchérir : « On peut regagner après et recréer cette espérance ».
Pour construire une telle majorité, le scénario d’une alliance entre le groupe de La Droite Républicaine, présidé désormais par Laurent Wauquiez, et Ensemble, se dessine. Gérald Darmanin n’exclut pas non plus, pour l’élargir à une majorité relative, de rallier certains « socialistes sincères et républicains », dit-il, qui pourraient à l’en croire travailler avec les macronistes sur « la redistribution et le pouvoir d’achat, qui passe par le travail et non pas par l’assistanat, la réforme de la justice, la régulation de l’immigration », détaille-t-il. Seule ligne rouge à ne pas franchir, la même depuis le début de la campagne législative : La France Insoumise, qui a « le gène de la division », selon lui : « Je serai le premier signataire d’une motion de censure si la France Insoumise accède à des responsabilités », prévient-il.
Dans le même sillon, François Bayrou, président du MoDem et allié du président est lui aussi formel : « Tenter de faire croire qu’il y a eu victoire d’un camp contre l’autre, c’est absurde », estime-t-il au micro de RMC. Lui aussi se tourne vers la droite et la gauche socialiste, et, pourquoi pas, jusqu’au Parti Communiste Français de Fabien Roussel. Le président d’Horizons, Edouard Philippe, appelle également à la constitution d’un bloc central autour d’une dizaine de textes : « On peut réunir de LR à Renaissance un bloc qui permette d’avoir une majorité relative ». Sur le choix du Premier ministre, les membres d’Ensemble sont clairs : il doit appartenir au Président de la République. Une fois nommé le nouvel hôte de Matignon, ce dernier fera une proposition sur la composition du gouvernement, « en tenant compte des nuances de l’Assemblée », explique François Bayrou. Le ministre de l’Intérieur va encore plus loin, en évoquant la possibilité d’un chef du gouvernement issu des rangs de la Droite Républicaine.
Qu’en pense précisément cette droite qui a refusé toute alliance avec le Rassemblement National ? Laurent Wauquiez, tout juste élu président du groupe à l’Assemblée nationale, clarifie les supputations : « Nous ne participerons pas à des coalitions gouvernementales », assure-t-il, sans écarter « la possibilité pour les deux camps de s’allier autour de propositions de loi pour répondre aux problèmes du pays sans attendre », concède-t-il. Pour son prédécesseur Olivier Marleix et pour le président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand, « la priorité est de ne pas laisser s’installer le programme du NFP », et donc de « mettre un coup d’arrêt à LFI ». Seule solution dans cette optique : un gouvernement qui regroupe le camp d’Emmanuel Macron et la droite républicaine, donc. Mais pour entamer les négociations avec la coalition Ensemble, le camp Républicain pose une condition sur la table : la nomination d’un Premier Ministre issu de ses rangs…
Le Nouveau Front Populaire accentue sa pression sur Emmanuel Macron
Pour les forces de gauche, la tradition républicaine voudrait que le Président se tourne vers la force politique la plus nombreuse à l’Assemblée nationale : le Nouveau Front Populaire. « Je connais Emmanuel Macron, c’est quelqu’un qui n’aime pas la démocratie », accuse Mathilde Panot, présidente du groupe La France Insoumise à l’Assemblée, au micro de RMC. Avant d’argumenter : « Cela n’a aucun sens de dire qu’il attend de voir les forces politiques, car il y aura 195 députés NFP. Les macronistes ont été défaits. Depuis 2017, à chaque élection législative, ils perdent 100 députés ».
De même, pour Olivier Faure, premier secrétaire du Parti Socialiste, le chef de l’Etat doit « respecter son devoir républicain » : « Le vote dit deux choses : il y a à la fois un front populaire, qui a fait 28% au premier tour ; et ensuite, il y a eu un front républicain. Il faut d’abord d’accepter le vote et (le fait) qu’un débat s’ouvrira sur les bases de ce que propose le Front Populaire », avance-t-il, sur France 2. Depuis dimanche, entre les rangs de la gauche et l’Élysée, c’est silence radio : « La logique serait (que le Président) nous dise : « je tiens compte du résultat des élections, je prends contact avec vous et j’attends que vous me proposiez un gouvernement », explique Manuel Bompard, coordinateur de la France Insoumise, sur LCI.
Reste que sur la composition d’un gouvernement et sur l’identité du futur premier ministre, les avis divergent grandement, notamment entre la France Insoumise et le Parti Socialiste. Si les premiers se prononcent en faveur d’un Premier ministre rattaché au parti le plus représenté dans la coalition de gauche, les autres plaident en faveur d’un consensus. Voire, pourquoi pas, d’un éventuel vote de chaque député du Nouveau Front Populaire pour désigner le futur chef du gouvernement. Les représentants de LFI ne sont pas d’accord : « Lorsqu’il y a une coalition, il appartient au groupe le plus nombreux de pouvoir conduire le gouvernement, et les autres composantes doivent aussi être représentées », appelle Manuel Bompard, avant d’ajouter à l’attention du PS : « On ne peut pas changer de méthode si les rapports de force ne nous conviennent pas ». Réponse du premier secrétaire du Parti Socialiste : « Il faut procéder par consensus, s’il n’est pas trouvé, il faut passer au vote ».
Crédités de 70 à 75 députés, le groupe La France Insoumise espère voir ce chiffre grimper jusqu’à 80, selon Mathilde Panot. De son côté, le PS relativise ces prédictions des Insoumis et ambitionne de les égaler. Mis à l’écart de LFI, les députés réélus Clémentine Autain, Hendrik Davi, Alexis Corbière, Raquel Garrido et Danièle Simonnet ont annoncé vendredi la création du mouvement L’Après (association pour la République écologique et sociale). Une « gauche franche, attachée à un projet de transformation en profondeur et démocratique », explique Clémentine Autain sur RMC. Membres du Nouveau Front Populaire et définitivement en rupture avec LFI, ils s’affirment en accord avec la méthode défendue par le PS : « Il faut un consensus sur une candidature, par vote », affirme-t-elle.
Pour l’heure, aucun scénario de majorité absolue ne se profile donc. Le Nouveau Front Populaire a d’ores et déjà écarté la possibilité de recourir aux 49.3 pour faire passer en force certains points de son programme. De son côté, ni la majorité présidentielle ni la droite républicaine ne semblent proches de conclure un accord pour concrétiser leur rapprochement.Et pour l’heure, le blocage demeure. De toutes parts.