À l’heure où baptiser les catastrophes climatiques, les phénomènes sociétaux ou les dispositifs politiques permet de leur donner du sens auprès de l’opinion, qualifier ainsi le douloureux projet de loi de finances que prépare le gouvernement de Michel Barnier aurait le mérite de la transparence.
Xose Bouzas / Hans Lucas / AFP
« Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde », nous dit Albert Camus dans sa tragique lucidité. Il est vrai que, quelles que soient les situations que l’on traverse dans la vie, y compris sur le plan collectif, on a besoin de « nommer les choses ».
Aussi ouragans, dispositifs sécuritaires ou autres virus ont-ils eu besoin de trouver leur nom pour être compris ou, a minima, retenus par l’opinion. Le plan « Vigipirate », connu depuis près de trois décennies, la pandémie de « Covid », apparue en 2020, ou plus récemment la dépression « Kirk », parmi beaucoup d’autres appellations, ont tour à tour envahi tout l’espace médiatique et laisséleurs traces dans les consciences et la mémoire collective. Ces mots servent ainsi de jalons pour tenter de décrypter l’incompréhensible. Ils permettent surtout à la société de sortir de la sidération que les phénomènes qu’ils nomment ont provoquée, et de se tenir debout, afin de faire face aux épreuves imposées par lamarche du siècle.
Le délicat exercice de la loi de finances pour 2025, avec ses figures imposées, ne fait pas exception à la règle. Chaque gouvernement, en définissant son budget, tente par ce biais d’imprimer sa marque, et plus généralement sa tonalitépolitique. L’opposition parlementaire, devenue plurielle depuis la dissolution, ne manque d’ailleurs pas de le baptiser à son tour pour en souligner les erreurs et marquer sa désapprobation et son rejet. Dans ce florilège, le premier budget du gouvernement conduit par Michel Barnier a été baptisé de « budget de colmatage » par l’ancienne ministre en charge du dossier, Valérie Pécresse. Celle-ci soulignait, avec justesse, un constat plutôt qu’un jugement de valeur.
Celle qui avait en son temps dénoncé, lors de la campagne présidentielle de 2022, le fait qu’Emmanuel Macron avait « cramé la caisse », a en effet parfaitement saisi ce qui se joue. Notre navire prend l’eau. Et la chasse aux millions souligne l’urgence d’une situation qui a dérivé à force de renoncements, de recours à la politique du chéquier et de reports sine die de tout effort de réforme de l’État. Le déficit public explose, bien au-delà des critères maastrichtiens qui nous lient à la zone Euro, et la dette donne le vertige. Un vertige dont, justement, il est temps de sortir. Cela ne concerne d’ailleurs pas seulement l’État et les gouvernants, mais aussi les citoyens. Nous tous.
Une autre appellation pour qualifier ce douloureux projet de loi de finances aurait pu être : « budget de dégrisement ». Car il s’agit bien de sortir de la mauvaise posture dans laquelle se trouve le pays. Face à la situation actuelle, l’on pourrait continuer à user de superlatifs pour « étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait », comme dit le poète. Ou encore arguer de l’exception française pour nous affranchir de nos engagements européens. Voirepoursuivre ad libitum la petite musique sur l’air de : « encore une minute,Monsieur le bourreau ». Mais le moment de changer de manie est venu.
L’impécuniosité de l’État, aussi désagréable soit-elle à supporter, est avérée. Face au gouffre – et au fait que l’argent a finalement bien un coût – la stratégie de Matignon est de faire le pari de la transparence pour nous sortir du faux rêve de l’argent magique. Le message est clair : il faut rétablir notre trajectoire d’endettement pour ne pas suffoquer et pour financer notre économie et notre modèle social. Ce terme de « dégrisement » nous invite, au-delà de la responsabilité d’un exécutif désavoué par les élections législatives, à nous poser la bonne question, celle que l’on se pose dans les familles modestes vers la moitié du mois : « ne peut-on pas s’en passer pour un temps ? Est-ce bien utile ? C’est vrai que ce serait bien, mais nous n’en avons pas les moyens… »Loin de se résigner, il faut nous contraindre pour assumer l’avenir. À une époque où l’on ne parle plus que de durabilité, le rappeler ressemble à un paradoxe suprême. C’est pourtant bien l’avenir de notre économie qui est en jeu.