Le directeur général de la Macif, forte de six millions de sociétaires, défend le modèle mutualiste français, qui est au cœur des évolutions de société.
Illustration : D.A
Comment un assureur observe-t-il les transformations à l’œuvre ?
Jean-Philippe Dogneton Le monde change et, avec lui, les risques, les besoins et les comportements. L’assurance, plus que tout autre secteur, est au cœur de ces évolutions et constitue un observatoire économique, social et humain des mutations. Nous accompagnons les Français tout au long de leur vie : de l’achat du premier véhicule à l’arrivée d’un enfant, dans la préparation de la retraite ou face à la maladie. Cela nous donne une vision objective des risques. Peu de nos politiques nous perçoivent ainsi, alors que nous protégeons nos concitoyens et que nous finançons l’économie. À la Macif, nous avons l’habitude de dire : « L’assurance, c’est la vie ! ». C’est tellement juste.
Quelles sont les transitions que la Macif a identifiées ?
J.-P. D. Comme l’a souligné le grand sociologue Edgar Morin, nous sommes entrés dans l’ère des polycrises. La première est environnementale, avec le dérèglement climatique, qui affecte les citoyens, leurs biens et leur santé. Cela fait vingt ans que nous observons une aggravation continue de la charge des sinistres climatiques, qui, par leur fréquence et leur intensité, bouleversent notre modèle assurantiel. Entre 2020 et 2050, la charge projetée devrait atteindre 145 milliards d’euros (soit 70 milliards de plus qu’entre 1989 et 2019), ce qui pose les questions du financement de la transition et de la prévention face aux événements. L’assurance, en France, est la plus protectrice d’Europe ; dès lors, on comprend la pression économique très forte qui pèse sur les assureurs.
La deuxième est intergénérationnelle et l’enjeu du « bien-vieillir » est décisif alors que 30% de la population française aura plus de 65 ans en 2050.
Dans cet ensemble, la question du pouvoir d’achat, pour sa part, est fondamentale et l’assureur mutualiste voit bien si ses sociétaires font appel aux dispositifs de solidarité. Par ailleurs, il faut également prendre en compte à leur juste mesure les risques technologiques et la fracture numérique.
Enfin, de manière apparemment plus lointaine, les assureurs et les consommateurs doivent aussi faire face à des risques réglementaires qui sont de véritables fausses bonnes idées, à l’instar de FiDA (Financial Data Access).
Quelles solutions un assureur peut-il apporter face à ces transformations ?
J.-P. D. Un assureur est surtout un acteur, et c’est pourquoi je suis engagé et fier d’exercer ce métier. Il a plusieurs leviers d’action. Face à la transition environnementale, par exemple, la Macif réalise des actions de prévention auprès de nos concitoyens. Nous avons créé en 2024, avec l’École normale supérieure, une chaire climat et transitions pour mieux comprendre les impacts du changement climatique et relier la recherche fondamentale aux réalités du terrain. Nos réseaux de réparation ont été réorganisés pour les rendre responsables, avec des matériaux résilients et de réemploi. Notre fondation accompagne les initiatives inclusives. Un nouveau fonds d’investissement, Terre et Vivant, vient d’être lancé pour soutenir les entreprises des territoires et la biodiversité. Un assureur se doit d’apporter
des réponses concrètes au plus près des problèmes et des assurés.
Les assureurs doivent aussi retrouver de la liberté d’action pour agir sur l’inflation des coûts alors que le cadre actuel est beaucoup trop rigide (monopole des constructeurs sur les pièces détachées automobiles, contrat responsable en santé…).
Comme investisseur institutionnel, comment participez-vous à l’accélération de la transition climatique ?
J.-P. D : Les assureurs sont des financeurs majeurs de l’économie. À ce titre, ils sont engagés dans une démarche d’investissement responsable pour soutenir une croissance durable. En 2022, ils ont été des acteurs majeurs du financement de l’économie bas carbone avec 11 milliards d’euros de placements verts, en progression de 23%. La Macif s’engage très fortement dans ce sens puisqu’à la fin de 2023, les encours investis par le groupe sur les enjeux de durabilité se sont élevés à 5,5 milliards d’euros.
Comment accompagner les Français pour ne pas les laisser au bord de la route face aux risques émergents ?
J.-P. D : Peut-on penser sérieusement qu’il existe une réponse autre que collective à la multiplication des catastrophes naturelles ? Cela n’aurait aucun sens. Je suis un défenseur acharné de la mutualisation. C’est le seul moyen de tenir dans la durée face à ces événements-là. C’est quoi, la mutualisation ? Chacun paye sa quote-part pour que tous résistent. En France, nous avons cet état d’esprit avec des systèmes qui fonctionnent, comme le régime de catastrophe naturelle, qui n’existe dans aucun autre pays. Si on prend un autre exemple, nous devons accompagner la transition vers une mobilité plus durable et plus inclusive. Le tout écologique a du sens, mais le tout technologique génère de l’exclusion. Nous réfléchissons à des offres en faveur d’une mobilité pour tous qui tiennent compte des besoins spécifiques des territoires ruraux et de leurs habitants (exemple : navette collective autonome actuellement en test).
Un assureur mutualiste a-t-il un ADN particulier ?
J.-P. D : La Macif est un modèle de l’Économie sociale et solidaire (ESS). L’intérêt général coule dans ses veines. Elle a été créée par un entrepreneur humaniste qui s’est intéressé à l’assurance du quotidien, délaissée par les grands assureurs de l’époque. La Macif vit au cœur des territoires et a développé une gouvernance atypique avec ses clients sociétaires. La Macif est aujourd’hui une entreprise performante (7 milliards d’euros de chiffre d’affaires) créatrice d’emplois avec 12 000 salariés, et cette performance économique sert un projet social.
Quels sont les enjeux très immédiats pour le gouvernement ?
J.-P. D : Les questions assurantielles ne peuvent plus rester périphériques ; elles sont essentielles dans un environnement dans lequel nos concitoyens recherchent des protections.
Il est impératif de penser long terme et de s’y tenir, car la situation souffre de coups de volant permanents. La santé, l’épargne ou les sujets climatiques méritent de la vision et de la stabilité dans les engagements. Les transferts de charge, le désengagement de l’état sur l’ESS et les interrogations sur la prévention sont des éléments d’alerte.
Sur ces sujets, la Macif est toujours source de propositions en proximité des territoires et des besoins. Enfin, il faut laisser aux assureurs, et singulièrement aux mutualistes, la liberté d’agir et d’exercer pleinement leur métier dans l’intérêt des clients, adhérents, sociétaires. Peut-être suffirait-il tout simplement de leur faire confiance !