Avec 331 voix pour, la motion de censure du gouvernement de Michel Barnier a été adoptée, mercredi 4 décembre un peu avant 20 h 30, provoquant la chute de ce dernier et plongeant un peu plus le pays dans l’inconnu. Récit.
Le Premier ministre Michel Barnier à l'Assemblée nationale, le mercredi 4 décembre. Photo : ALAIN JOCARD / AFP
Il est 20h26, ce mercredi 4 décembre lorsque, pour la deuxième fois de l’histoire de la Ve République, et pour la première fois depuis celui de Georges Pompidou en 1962, un gouvernement est renversé par les députés. « En raison de l’adoption de la motion de censure et conformément à l’article 50 de la Constitution, le Premier Ministre doit remettre au Président de la République la démission du gouvernement », annonce Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale aux 577 députés, déclenchant les cris de joie des Insoumis.
Le gouvernement de Michel Barnier, qui s’était installé il y a trois mois dans des circonstances inédites de morcellement de l’Assemblée nationale en trois blocs – centre droit, gauche et extrême droite – inconciliables et irréconciliables, espérait au moins franchir l’étape délicate du budget et passer l’hiver. Et ce en dépassant les clivages politiques sur quelques plus petits dénominateurs communs. « Le 1er octobre dernier, j’étais devant vous pour vous dire que les Français ne nous pardonneraient pas l’immobilisme », a rappelé le Premier ministre à la tribune du Palais Bourbon, dans une allocution qui ressemblait comme s’y méprendre à un discours d’adieu. C’était quelques dizaines de minutes avant que la Présidente de la chambre basse n’annonce officiellement la chute de son gouvernement, même si celle-ci ne faisait plus aucun doute.
Au cours de cette bataille perdue d’avance, qui a duré près de quatre heures, les prises de parole des présidents des groupes parlementaires se sont enchaînées. Le président de la commission des Finances, l’Insoumis Éric Coquerel, désigné par le Nouveau Front Populaire (NFP) pour défendre la motion de censure déposée par la coalition de gauche a ouvert le bal, clôturé par le Premier ministre désormais démissionnaire, Michel Barnier.
« Tête à tête humiliant » avec le RN
C’est avec beaucoup d’assurance qu’Éric Coquerel, les deux mains posées sur le pupitre, s’est d’abord employé à dénoncer l’« illégitimité » du gouvernement, soulignant la « solennité » et la portée symbolique et historique de ce jour. « Appauvrir les plus pauvres au bénéfice des plus riches et du capital, votre navire prend l’eau », a-t-il fustigé.
Avant de poursuivre, à l’attention des députés macronistes, sous les applaudissements de ceux de gauche et le regard ravi de Jean-Luc Mélenchon, assis dans les tribunes : « Le crépuscule tombe sur l’avenir politique du Président et sur le vôtre ». Se référant aux nombreuses concessions faites à Marine Le Pen et au Rassemblement national (RN), comme le déremboursement des médicaments ou la taxe sur l’électricité, l’Insoumis a pointé contre la stratégie du premier ministre visant à s’assurer d’une non-censure : « Vous avez tenté des compromis avec l’extrême droite, en violation du barrage républicain, dont vous auriez dû être le garant, Monsieur le Premier ministre ». Pour Eric Coquerel, l’après-Barnier ne peut se concevoir que dans la « nomination d’un Premier ministre et d’un gouvernement NFP ».
Dans la lignée de son allié Insoumis, Boris Vallaud, président du groupe socialiste, avait débuté son allocution en évoquant son sentiment « de colère » mêlé d’ « incompréhension », et lui aussi pointé l’échec de la méthode Barnier, qui n’aura à ses yeux été qu’un simple « bruit qui court ». Le socialiste s’est employé à souligner le manque de compromis de la part du chef du gouvernement, auquel ce dernier s’était pourtant engagé à sa prise de fonction, et ses arrangements avec l’extrême droite : « C’est avec le seul Rassemblement national que vous avez fait des compromis », a-t-il accusé, évoquant un « tête à tête humiliant » avec l’extrême droite.
Et Boris Vallaud de répliquer à l’accusation, lancée par le Premier ministre aux socialistes, d’avoir refusé d’emblée toute négociation : « Nous n’avons jamais été dans le tout ou rien, jamais, à aucun moment ». Boris Vallaud est même allé jusqu’à révéler un échange qu’il aurait eu la semaine précédente lors de son entrevue avec le Premier ministre, lequel lui aurait glissé : « Je connais vos propositions, certaines sont intéressantes, mais je ne peux pas prendre le risque de fracturer mon socle commun ».
« Gouvernement de circonstance »
Quelques instants plus tôt, Marine Le Pen avait mis en accusation un « gouvernement de circonstance et d’apparence » et présenté Michel Barnier comme le « simple continuateur d’un système rejeté lors des dernières élections ». « Vous étiez dépourvu de toute assise démocratique, y compris dans votre socle commun, miné par les ambitions personnelles », avait-elle reproché, pour légitimer son choix de censurer le gouvernement, à celui qui n’avait pourtant cessé, ces derniers jours, d’accéder à ses demandes, toujours plus nombreuses. Et de pointer un budget qui « prend en otage les Français » : « Vous n’avez apporté qu’une seule réponse : l’impôt, l’impôt et toujours l’impôt ».
Après avoir dénoncé l’ « hypocrisie » de Marine Le Pen, « l’alliance entre La France Insoumise et le Rassemblement national » et l’ « irresponsabilité » de l’ensemble des députés qui s’apprêtent à voter la censure, le président du groupe Ensemble pour la République (EPR), Gabriel Attal, a pour sa part estimé que la cheffe de file du parti d’extrême droite commettait « une erreur devant l’histoire ». Et souligné le fait que « la politique française est malade ».
Mais l’ex Premier ministre a semblé, déjà, songer à l’après Barnier. Et s’employer à diviser élus socialistes et insoumis, dans l’espoir de rallier les premiers à ceux de son « socle commun » pour bâtir une plateforme pour la suite : « Chers collègues socialistes, Jean-Luc Mélenchon a écouté le rapport de la France Insoumise et s’est levé et est parti au moment où Boris Vallaud a pris la parole », a-t-il exposé sous les huées des élus de gauche. Avant de poursuivre : « La gauche de gouvernement doit se ressaisir et se mettre avec nous autour de la table pour réfléchir ensemble ».
Vers un pacte de non censure ?
Une base de coalition entre la gauche sociale-démocrate et le centre-droit, entre le PS et EPR, voire avec Les Républicains, est-elle envisageable ? Un peu plus tôt, Boris Vallaud avait lui aussi semblé emprunter cette voie, appelant au « sursaut démocratique » et au « réveil moral » la gauche et le « bloc central », à ses yeux condamnés à emprunter le « chemin du dialogue » pour sortir de l’impasse politique. « Préférez-vous gouverner avec la gauche, certes imparfaite, mais qui partage l’essentiel du combat républicain, ou préférez-vous continuer à courber l’échine aux injonctions de Marine Le Pen ? », a-t-il demandé, mettant ainsi une forme de pression aux élus de Laurent Wauquiez et de Gabriel Attal.
Plus que jamais plongée ce soir dans l’inconnu, la classe politique française dispose donc d’une hypothèse de travail, même si celle-ci se révèle hasardeuse : celle d’un « pacte de non-censure », allant des députés de la Droite Républicaine à ceux du Parti Socialiste en passant par les macronistes, pacte dont les contours ont été dessinés, ce mercredi soir, par Boris Vallaud et Gabriel Attal. « Seul un large rassemblement de l’arc républicain pourrait permettre de gouverner sans céder aux extrêmes », avait justement encouragé, à la tribune, le centriste Charles de Courson. Reste désormais à savoir si Emmanuel Macron, qui se retrouve à nouveau en première ligne, suivra cette voie.