Le Parti Socialiste et La France Insoumise se sont violemment affrontés dans un hémicycle presque désert, mercredi 5 février lors du débat parlementaire sur les deux motions de censure contre le gouvernement de François Bayrou, largement rejetées. Même si toutes ses composantes se refusent à l’admettre, la rupture semble consommée au sein du NFP.

La députée LFI Aurélie Trouvé, à la tribune de l'Assemblée, le 5 février 2025. Crédit photot : Magali Cohen / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Les postures, en politique, sont parfois plus révélatrices encore que les paroles. À peine la députée insoumise Aurélie Trouvé avait-elle achevé son discours, mercredi 5 février à la tribune de l’Assemblée nationale, dans le cadre de la discussion sur les deux motions de censure déposées par son parti après l’utilisation par François Bayrou du 49-3 pour faire adopter le budget, que ses collègues – mais visiblement plus camarades – socialistes Olivier Faure et Emmanuel Grégoire, dossiers sous le bras, faisaient leur entrée dans l’hémicycle. Sans un regard à l’intention de l’oratrice, le second lui succède à la tribune, sourire aux lèvres. « Censure ! », lui crient d’emblée les mélenchonistes, avant même qu’il n’ait le temps de décrocher un mot.
Alliées à la vitesse de l’éclair, au soir du 9 juin dernier, dans la foulée la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macon, dans le cadre du Nouveau Front populaire (NFP), ces deux gauches semblent aujourd’hui plus que jamais « irréconciliables », selon la célèbre formule de Manuel Valls. Après plusieurs semaines de suspense, les socialistes n’ont donc pas voté les deux motions de censure déposées par les Insoumis sur la première partie du Projet de Loi de Finances (PLF), qui ont été rejetées. Le signe d’une rupture désormais ouvertement consommée entre LFI et le PS.
« Le pouvoir des socialistes »
Vêtue d’un tailleur blanc, Aurélie Trouvé a accusé François Bayrou et son gouvernement de vouloir imposer « le budget le plus austéritaire du XXIe siècle», responsable d’un « naufrage de la démocratie ». « Il n’y a une seule façon d’exprimer son opposition au gouvernement : le vote d’une motion de censure. Le seul vote responsable, c’est maintenant », a-t-elle affirmé.
« À mesure que grandit le pouvoir des socialistes, grandit la responsabilité », lui a répliqué le député PS de Paris Emmanuel Grégoire à la tribune, sa voix parfois couverte par celles des députés insoumis en colère. Principal partenaire de la négociation avec le gouvernement sur le budget, le PS a décroché des « victoires », dont « l’annulation de la suppression de 4 000 postes d’enseignants, l’ouverture d’une convention sociale sur les retraites, pas de gel des pensions pour les retraités, l’augmentation d’1,2 milliards d’euros dans le budget de la Santé », a rappelé le candidat à la mairie de Paris. « Est-ce suffisant ?, a-t-il questionné. Non. Ces avancées ne font pas de ce budget un budget juste, mais il est moins mauvais que celui de Michel Barnier », a-t-il assuré.
« Gauche de témoignage »
La divergence politique et stratégique entre les deux principales composantes du NFP éclate désormais au grand jour. Tandis que le Parti Socialiste se positionne comme une force pragmatique et responsable, capable de compromis et cherchant à obtenir des avancées concrètes sur le budget, La France Insoumise, fidèle à la doctrine de son leader Jean-Luc Mélenchon, privilégie une posture radicale. Selon Sarah Legrain, députée LFI, le PS est « très impuissant », affichant une « peur de gouverner » et même, une confusion sur ses propres engagements politiques : « Ils ne sont pas très clairs non plus avec le programme sur lequel ils se sont engagés », dénonce-t-elle. À l’inverse, Laurent Lhardit, député PS, justifie la position de son groupe comme un choix stratégique mûrement réfléchi. Pour lui, l’objectif du PS est de « mettre à profit ce temps pour améliorer la vie des Français », et pas « de parier sur la destitution ou la démission du Président, qui n’arrivera pas ».
Le PS jouerait-il un double jeu ? « Bien évidemment », confirme Sarah Legrain. S’il n’a pas voté la censure du budget, épargnant de facto François Bayrou et son gouvernement, le parti dirigé par Olivier Faure déposera la semaine prochaine une motion de censure sur les « valeurs républicaines », afin de s’opposer, en particulier, aux propos polémiques du Premier ministre sur la « submersion migratoire », tenus la semaine dernière. Un écran de fumée, aux yeux des Insoumis : « C’était tellement dur pour eux d’assumer de ne pas voter la censure qu’ils ont inventé quelque chose qu’ils appellent une censure », explique la députée LFI, qui accuse le PS d’être une « gauche de témoignage ».
« La bassesse des fausses oppositions »
Du côté du PS, on avance l’argument de la responsabilité, en premier lieu économique. « La France a besoin d’un budget. Les entreprises et les collectivités ont besoin d’un minimum de certitude pour avancer. Nous avons besoin d’aller vite maintenant », explique Laurent Lhardit, ancien adjoint à l’économie au maire de Marseille.
Le Nouveau Front Populaire est-il mort ? Il a assurément du plomb dans l’aile. Même si les élus insoumis et socialistes ne répondent pas franchement à la question. « Le PS est en train de s’exclure du NFP », suppose Sarah Legrain. Étonnamment, Laurent Lhardit affirme : « Le NFP va mieux ce soir. Jean-Luc Mélenchon a voulu le mener au canon, et aujourd’hui, il en est devenu le boulet », se félicitant presque de s’être affranchi du parti mélenchoniste. « Nous ne sommes pas au garde à vous, je ne reçois aucun ordre de monsieur Mélenchon. Ma boussole, c’est ce que je crois nécessaire pour mon pays », affirme de son côté le député de la Mayenne Guillaume Garot. A ses yeux, cet épisode ne vaut pas rupture. « Le rassemblement des forces de gauche reste nécessaire », estime le socialiste. Du moins, pas pour l’instant : « Nous allons discuter de l’avenir du NFP avec ceux qui ont voté la censure ».
Du côté des leaders, le ton est beaucoup plus violent. En meeting à Angers (Maine-et-Loire), Jean-Luc Mélenchon a fustigé la « bassesse des fausses oppositions ». Un peu plus tôt, il avait estimé dans une note de blog que la non-censure du PS « consomme son ralliement au gouvernement Bayrou […] Le NFP est réduit d’un parti ». S’attirant la réplique du secrétaire général du PS Pierre Jouvet : « Le NFP n’appartient pas à Jean-Luc Mélenchon ». Cette ambiance à couteaux tirés entre ex-camarades signe bien le nouvel épisode de la guerre des gauches, qui ne fait que (re)commencer.