L'Hémicycle L'Hémicycle

Industrie

Innovation

Olivier Ducatillion : « Le textile est un écosystème complet »

Présente dans tous les secteurs d’activité, la filière textile est un élément clé de notre souveraineté. Comment préserver cet atout ? Entretien avec Olivier Ducatillion, président de l’Union des industries textiles (UIT).

2

Le textile est-il encore un pilier de notre souveraineté industrielle ?

Olivier Ducatillion Il est partout : dans nos avions, nos centrales nucléaires, nos hôpitaux, nos équipements militaires. Ce n’est pas seulement une question de mode. Les entreprises qui ont résisté aux vagues de délocalisation ont su se réinventer, monter en gamme, innover. L’exemple d’Hexcel, première unité mondiale de tissage de fibre de carbone, située en Isère, est édifiant. Aujourd’hui, il est nécessaire que les pouvoirs publics prennent conscience du caractère stratégique de certains produits textiles fabriqués en France, et la commande publique doit impérativement soutenir ces secteurs d’activité à forte valeur ajoutée.

Le secteur couvre une large palette d’activités, de la fibre au tissu. Comment mieux faire connaître cette diversité ?

O. D. La force de la filière textile française, c’est de regrouper l’ensemble des maillons de la chaîne de valeur : de la transformation du fil jusqu’à l’assemblage du produit fini, en passant par les étapes de tissage, tricotage, non-tissé et de l’ennoblissement, qui consiste à donner une valeur ajoutée fonctionnelle (non-feu, antibactérienne, etc.) ou esthétique. Le textile n’est pas un simple vêtement : c’est un écosystème complet, du fil à la fusée.

Le textile, c’est aussi une industrie de sous-traitance. Comment valoriser ces savoir-faire d’excellence, souvent leaders dans leur domaine ?

O. D. 50 % de notre chiffre d’affaires sont réalisés dans les textiles techniques, 40 % dans la mode et le luxe, 10 % dans l’équipement de la maison. Peu de gens le savent : un Airbus A350, c’est 53 % de composites issus du textile ; un implant chirurgical, c’est du textile biocompatible. Nous sommes des sous-traitants de l’ombre, mais sans nous, pas d’avions, pas de santé, pas de sports de haut niveau. Nous pourrions même lancer un nouveau label, « French Textile Inside », pour rendre visible ces savoir-faire dans les produits finaux !

L’innovation est devenue incontournable, par exemple avec les textiles conçus pour des stations lunaires…

O. D. Qu’il s’agisse d’équiper un soldat, de soigner un patient ou de protéger un pompier, les textiles français développent des solutions uniques : vêtements intelligents, compression médicale, pulls anti-lacération, sous-vêtements connectés, etc. Nous sommes au croisement de la technologie, de la santé et de la sécurité. Entre le projet Armetiss, qui vise à développer des vêtements et équipements intelligents pour nos soldats ; le projet Globule, pour améliorer la prise en charge de l’ulcère veineux de la jambe ; ou encore le projet de recherche pour obtenir un sous-vêtement intelligent à destination des sapeurs-pompiers, nous ne manquons pas d’idées, dans notre pays. Pour soutenir nos entreprises, nous avons demandé aux parlementaires de pérenniser le crédit d’impôt collection et nous espérons aussi que le crédit d’impôt recherche sera maintenu.

Sur le plan réglementaire, quels leviers faudrait-il actionner en France et à l’échelle européenne ?

O. D. Nous demandons avant tout de la cohérence et de la réciprocité. Oui à l’excellence environnementale, mais pas si nos concurrents asiatiques inondent le marché sans contrôle. Oui à l’innovation, mais avec un cadre fiscal stable. Nos entreprises ne peuvent pas jouer à armes inégales. Plusieurs sujets réglementaires sont aujourd’hui prioritaires : éligibilité de la filière aux taux réduits pour les énergo-intensifs ; vigilance sur les coûts de l’énergie ; réciprocité des obligations environnementales ; réforme du Code de la commande – car trop souvent nos petites structures sont tenues à l’écart des marchés publics ; suppression de l’exonération des droits de douane au 1er janvier 2026 pour les colis importés dans l’UE d’un montant inférieur à 150 euros avec fixation d’un prélèvement forfaitaire obligatoire minimum de 25 euros, y compris pour les colis en provenance de pays exonérés de droits de douane ; et, enfin, renforcement des outils de contrôle afin de garantir que les produits concurrents importés sont traités avec la même sévérité.

L’international est un enjeu majeur : 70 % du chiffre d’affaires du secteur se font à l’export. Comment mieux sécuriser ces marchés ?

O. D. Nous importons nos matières premières et exportons 70 % de notre production : la moindre crise fragilise tout l’édifice. Il faut donc diversifier, monter en gamme et sécuriser nos chaînes d’approvisionnement. Nos marchés sont mondiaux, mais les risques géopolitiques, économiques, concurrentiels ou environnementaux le sont également. Dans le contexte actuel de redistribution des cartes du commerce mondial, nous devons apprendre à « chasser en meute » : il faut que nos grands groupes emmènent nos PME aux savoir-faire exceptionnels dans leur sillage pour des appels d’offres ou des projets communs.

Le numérique transforme-t-il aussi le textile ?

O. D. L’IA, les jumeaux numériques, la traçabilité blockchain…  sont des armes de compétitivité. Là où nous ne pouvons pas rivaliser en coût du travail, nous pouvons prendre une longueur d’avance grâce au digital. Cela nécessite d’intégrer de nouveaux outils sur lesquels les collaborateurs devront être formés.

Avec 60 000 salariés aujourd’hui, comment assurer la relève ?

O. D. Par la formation, la reconversion et la fierté de nos métiers. Il faut sans doute mieux le dire, mieux le montrer, mieux l’incarner. Notre rapport de branche montre que nos salariés sont attachés à leur entreprise : l’ancienneté moyenne est de 11,5 ans et nous atteignons la parité hommes-femmes. Le secteur possède aujourd’hui un outil complet de formation, depuis le bac pro jusqu’au diplôme d’ingénieur, étant précisé que les jeunes (ou moins jeunes) qui possèdent une expérience dans d’autres secteurs sont les bienvenus.

On parle beaucoup de French Tech… Est-ce qu’il ne serait pas temps de parler aussi de «French Tex» ?

O. D. La marque French Tex existe déjà pour valoriser les carrières dans notre industrie. Comme la French Tech hier, la French Tex doit devenir un mouvement national. Il existe finalement peu de secteurs d’activité qui proposent une telle pluralité de métiers à celles et ceux qui souhaitent donner un sens à leur vie en mettant leurs connaissances, leur expérience et leur savoir-faire au service de la filière textile française pour être pleinement acteurs de son avenir. 

L’Hémicycle vous recommande

2

Agnès Verdier-Molinié : « Il faut libérer l’industrie de l’étau fiscal et réglementaire »

1

Marie-Pierre de Bailliencourt : « Il est impératif d’orchestrer l’intervention publique »

Marc Ferracci(44)

Repenser les règles du jeu

couv+4 Je m’abonne