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« Le Pacte Dutreil n’est pas un “cadeau” aux plus riches »

Marc Ferracci(35)

Le Pacte Dutreil a pu à ce titre faire l’objet de commentaires, alors même que son rôle crucial – pérenniser le tissu économique français, soutenir l’innovation et la compétitivité de nos entreprises – demeure mal apprécié, voire négligé. Il est souvent mal connu et mal compris. Ses effets le sont encore plus.

Souvent mal compris, le Pacte Dutreil est bien plus qu’un avantage fiscal. Conçu pour sécuriser la transmission des entreprises familiales, il constitue un outil stratégique de souveraineté économique, en préservant l’ancrage territorial, l’emploi et les centres de décision en France. Dans un contexte de fiscalité parmi les plus élevées d’Europe et de concurrence mondiale accrue, sa remise en cause menacerait la compétitivité et la pérennité du tissu productif français.

Ce dispositif a été créé avec l’objectif d’être un outil stratégique de défense du capital économique national et de préserver le capital français au sein des entreprises, dans un contexte d’internationalisation des marchés financiers qui a conduit l’actionnariat étranger (qui bénéficie souvent de régimes économiques attractifs dans son pays d’origine) à passer de 10 % à 40 % au sein du CAC 40 entre 1990 et 2010.  En protégeant un actionnariat stable, enraciné et productif, le Pacte Dutreil préserve le contrôle du capital et des entreprises français maintient en France des centres de décision répartis sur l’ensemble du territoire.

Sans Pacte Dutreil, les entreprises familiales , qui représentent en France 66 % de la totalité, 69 % de l’emploi et 65 % de la valeur ajoutée, et qui ont été bâties et développées au fil des générations, seraient affaiblies. Le Pacte les sécurise à un moment de vulnérabilité : celui de la transmission. Sans ce dispositif, les droits à payer, très élevés en France, obligeraient souvent leurs propriétaires à des choix difficiles : soit exiger le versement de dividendes supplémentaires pour pouvoir s’acquitter de la fiscalité, ce qui nuirait à la performance de long terme des entreprises ; soit vendre tout ou partie de l’entreprise, souvent à des concurrents ou intérêts extérieurs, très actifs dans l’économie mondialisée, ce qui entraînerait une perte de souveraineté. L’alternative au Pacte Dutreil n’est donc pas une plus grande justice fiscale , mais un plus grand nombre de ventes à la découpe ou des délocalisations.

Le Pacte Dutreil n’est pas un « cadeau » aux plus riches : c’est une protection de l’outil de travail. Il vise l’entreprise, c’est-à-dire l’outil de production, qui fait vivre des salariés, un écosystème de fournisseurs et de sous-traitants, pas le patrimoine personnel des actionnaires. Il sert, à ce titre, l’intérêt collectif.

Ce n’est pas non plus un « chèque en blanc ». Sa logique repose au contraire sur un « contrat de confiance » : ses bénéficiaires prennent obligatoirement et conformément à la loi des engagements de long terme, qu’ils doivent tenir sur plusieurs années. C’est un pacte de responsabilité, pour assurer la pérennité des entreprises françaises.

L’analyse du Pacte Dutreil ne peut au demeurant se faire sans tenir compte du contexte européen. Or, en la matière, ce n’est pas ce dispositif, qui est exorbitant, mais le régime français de droit commun d’imposition des transmissions, qui est particulièrement élevé. La fiscalité de la transmission a doublé dans les années 1980, passant de 20 % à 40 % en ligne directe, pour atteindre aujourd’hui 45 %, soit un niveau parmi les plus élevés d’Europe. À l’inverse, l’Italie applique un taux de 4 % en ligne directe et l’Allemagne offre des exonérations très larges pour la transmission d’entreprise, ce qui explique en partie la solidité du Mittelstand outre-Rhin et la puissance exportatrice de ces pays. Le dispositif Dutreil rétablit donc simplement un taux d’imposition supportable pour ne pas affaiblir les entreprises.

L’Europe s’accorde d’ailleurs sur la nécessité de renforcer la compétitivité des entreprises, afin de préserver sa souveraineté économique (voir les récents rapports Draghi et Letta). Cet impératif est d’autant plus crucial dans un nouveau contexte géopolitique instable, marqué par des tensions commerciales, des risques accrus de fragmentation économique et un besoin de réindustrialisation européenne.

En outre, les entreprises qui utilisent le Pacte Dutreil pilotent à long terme, avec le souci de l’intérêt de l’ensemble de leurs parties prenantes.

Le modèle du capitalisme familial favorise la solidité économique, la transmission de savoir-faire et la continuité de l’action stratégique. Ses entreprises ont un fort ancrage territorial et forment l’essentiel du tissu économique régional. Elles irriguent les territoires, soutiennent l’emploi local et maintiennent des centres de décision en France. Elles sont enracinées localement et impliquées dans leur environnement (elles financent, par exemple, les activités associatives, la vie sociale locale, etc.). Elles privilégient généralement la préservation des effectifs et les relations sociales y sont souvent plus apaisées. Elles sont aussi des actrices engagées de la transition écologique. Par ailleurs, elles sont dirigées par des interlocuteurs directement accessibles aux décideurs politiques et aux salariés.

Ce modèle constitue un rempart contre la volatilité financière : une entreprise familiale investit pour la génération suivante. Un fonds d’investissement, à l’inverse, repose sur une autre logique : il cherche la rentabilité maximale en quelques années. C’est un choix différent, qui peut être légitime, mais il serait surprenant que le législateur le favorise au détriment des entreprises qui fondent le modèle de l’économie française – et regrettable qu’il les pénalise.

Enfin, les propositions de restriction – ou de suppression – du Pacte Dutreil ne doivent pas se bercer d’illusions : sa suppression ne rapporterait pas à l’État des recettes équivalentes au montant de sa « dépense fiscale ». En l’absence de Pacte Dutreil, c’est-à-dire si la fiscalité augmentait, les entreprises adapteraient leur comportement. Certaines transmissions ne se réaliseraient pas. Le dispositif Dutreil n’annule pas l’impôt, il en assure au contraire la soutenabilité et sert à l’État à maintenir une base fiscale solide sur le long terme.

Le débat sur l’utilisation des finances publiques est indispensable, celui autour du Pacte Dutreil est légitime. Il doit cependant se faire au regard de l’objectif qui a été attribué à ce dispositif : préserver le capital économique français. Il doit également intégrer les buts que cette stabilité rend atteignables, en ancrant les entreprises dans le territoire, en consolidant leurs emplois, en soutenant leurs stratégies de long terme, assises sur des investissements réguliers et un esprit de responsabilité sociale et environnementale. Si la France estime que cette ambition de souveraineté économique reste pertinente, elle doit résolument préserver le Pacte Dutreil.

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