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Emmanuel Métais : « Des élites capables de sentir le monde et de s’y projeter »

Le contexte mondial a beau être incertain, il ne freine en rien le désir de mobilité des étudiants. Pour attirer les meilleurs, une école de commerce doit leur offrir des immersions pour observer le monde à travers d’autres lunettes que les leurs. Selon le directeur général de l’EDHEC Business school, ces futures élites n’en sortiront que mieux éclairées.

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On reproche souvent aux élites françaises leur homogénéité… Comment les exposer à davantage de diversité ?

Emmanuel Métais On peut comprendre ce reproche, qui est justifié. Malgré leurs efforts, les grandes écoles ont du mal à accueillir des élèves de tous milieux. Plus vous montez dans les classements, moins les étudiants boursiers sont présents. Le problème est d’autant plus complexe qu’il se joue tôt dans la vie des jeunes. Certaines familles savent déjà dans quelle crèche elles veulent placer leur enfant avant même sa conception ! Sans compter la contradiction qui consiste à nous demander de l’ouverture sociale tout en diminuant les aides à l’apprentissage… La France demeure, en outre, extrêmement centralisée. L’EDHEC Business School va dans le sens d’une plus grande ouverture sociale, mais il s’agit d’un travail de longue haleine.

Comment procédez-vous ?

E. M. 15 % des frais de scolarité versés par nos étudiants sont redistribués à d’autres sous forme de bourses. En parallèle, nous développons les parcours en apprentissage. Une autre manière de confronter les jeunes à la diversité est de les faire agir sur des problématiques réelles vécues par d’autres populations. C’est le sens des Global Impact Projects que nous lançons cette année, soit une nouvelle modalité de séjours internationaux, en partenariat avec des ONG locales, pour conduire un projet humanitaire : lutte contre la pauvreté, développement durable, éducation, etc. Cette plongée dans d’autres situations que la leur constituera pour eux un moyen de comprendre des enjeux sociaux de manière concrète, plus profonde. Et, demain, lorsqu’ils seront managers et dirigeants, d’éclairer leurs décisions.

Les conflits géopolitiques succédant à la crise sanitaire, une grande école peut-elle penser sa stratégie internationale « comme avant » ?

E. M. Ces crises ont accéléré un mouvement qui s’inscrit dans un temps long, et que nous percevions déjà. Dans la décennie 1990, l’enseignement supérieur se voyait tout à fait inséré dans un village mondial. Mais progressivement, le sens de l’histoire s’est inversé, avec le retour progressif du repli régional ou national. En ce sens, le Brexit fut un premier coup de tonnerre, démontrant à tous qu’une génération suffisait pour anéantir une coopération tissée depuis la Seconde Guerre mondiale, que nous pensions pourtant acquise. Le Covid a ensuite quasiment gelé les flux d’étudiants, avant que les crises actuelles – Ukraine, Moyen-Orient, tensions Chine/États-Unis, forte inflation en Amérique latine qui réduit les mobilités – s’ajoutent à ce cocktail déjà très particulier. Dans le même temps, les grands équilibres bougent. Le Sud global s’autonomise : Asie, Brésil ou Afrique du Sud ne se tournent plus tant vers les États-Unis et l’Europe, mais s’attachent à faire rayonner leur propre vision du monde. Je demandais récemment à un collègue de São Paulo quels étaient ses principaux projets internationaux. Pour lui, le temps était à la signature d’accords avec l’Afrique, où les formations chinoises cherchent aussi à s’implanter.

Certains pays autrefois très ouverts deviennent restrictifs à l’égard de la mobilité étudiante. Comment l’expliquez-vous ?

E. M. Nous ne pouvons ignorer la dimension politique, avec cette musique de repli sur soi que l’on entend dans bien des pays, y compris européens. Quoi qu’on pense du sujet de l’immigration, on ne peut que le constater : la question démographique et le protectionnisme animent les débats publics. Le Canada, qui ne nous avait certes pas habitués à cela, vient d’annoncer une baisse de 35 % des visas accordés aux étudiants étrangers. Le Danemark a également instauré une politique très stricte en la matière, qui est à mon sens catastrophique si vous voulez former des élites capables de sentir le monde et s’y projeter. À ce titre, je me réjouis que cette partie de la loi immigration, qui prévoyait une démarche similaire chez nous, ait été retoquée par le Conseil constitutionnel. Elle aurait été philosophiquement délétère, à la fois pour nos étudiants et pour nos écoles. Ce n’était pas un message acceptable de la part de la France envers les talents du monde entier.

Dans ce contexte mouvant, quelle est la stratégie internationale DE l’EDHEC ?

E. M. Notre approche de l’international est assez spécifique. Premier point marquant : nous refusons toute stratégie d’implantation dans un pays, par exemple, via la création d’un campus. Je suis convaincu qu’un bon étudiant chinois qui s’intéresse à nous souhaite faire l’EDHEC en France, et non en Chine où d’autres formations de qualité existent. Quant aux étudiants français, ils ont bien plus à apprendre en découvrant un système d’enseignement différent, et surtout en évitant l’écueil de rester finalement entre eux, même à l’étranger. Les seules entités que nous ayons hors de France sont des campus de recherche à Londres et Singapour. Ils ne sont pas destinés aux élèves mais bien à mener des travaux de recherche à impact en finance durable – que nous commercialisons ensuite – et créer des partenariats avec les entreprises.

Quelle est donc votre méthode ?

E. M. En ce qui concerne nos étudiants, notre démarche est de passer des accords d’échange élargis avec les meilleures universités mondiales et, dès que possible, de construire avec elles des programmes conjoints. C’est le cas notamment de notre parcours GETT (Global Economic Transformation & Technology), qui amène, en quatre ans, nos étudiants à Lille, Paris, Sungkyunkwan (SKK) en Corée du Sud, puis Berkeley, en Californie, ou encore de sa nouvelle déclinaison GETT Europe, qui les conduiront de l’EDHEC en France, à l’ESMT de Berlin et l’Imperial College de Londres. De quoi s’abreuver d’autres types de visions du monde.

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