Maire de Lviv depuis 2006, Andriy Sadovy est aussi président du parti pro-occidental Samopomitch. Désigné candidat en 2019, il devrait l’être à nouveau lorsque la prochaine élection présidentielle sera convoquée en Ukraine. Située à l’Ouest du pays, loin de la ligne de front, Lviv n’est pas pour autant épargnée par les bombardements. Andriy Sadovy ne croit pas à des négociations de paix avec Vladimir Poutine : il est partisan d’une « guerre jusqu’au bout », quel que soit le coût humain, mais demande l’aide des Européens.

La coalition des volontaires – vingt-six pays – a commencé à préparer l’après-guerre et annoncé, jeudi dernier à Paris, d’importantes garanties de sécurité. Qu’en pensez-vous ?
Nous entendons les bonnes paroles, nous voyons les beaux gestes. Peut-être est-ce mieux avec eux que sans eux. Mais les mots et les gestes, malheureusement n’arrêtent pas la guerre. Les bombardements s’intensifient. La pression des occupants de l’Est s’accroit. Lviv subit des attaques presque chaque semaine. Les dernières frappent de drones ont eu lieu hier (jeudi)matin. La Russie ne comprend ni les mots, ni les gestes. Elle ne sera arrêtée que par la force. Je souhaite vivement que l’Occident le comprenne. Il est temps de se réveiller. Les Russes se battent contre toute la civilisation européenne. N’écoutez pas les discours enrobés de sucre de leurs diplomates. Regardez la propagande russe destinée à leur propre public : ils y appellent ouvertement à la destruction de l’Europe.
Ne croyez-vous pas à des négociations de paix ?
C’est impossible. Poutine ne veut qu’une chose : la capitulation. Il ne comprend pas ce que signifient des négociations de paix. La seule chose qu’il comprend, c’est la force. Plus vite nos partenaires le comprendront, plus vite nous récupérerons nos territoires. La Russie est le dernier empire du monde actuel. Lorsqu’il se sera désagrégé, nous serons en paix. D’ici là, la Russie restera une menace pour le monde.
Quand vous dites qu’il faut que nos partenaires le comprennent, parlez-vous spécifiquement des Européens ?
Je parle de tout le monde. Des Européens, des Japonais, des Américains, de la Grande-Bretagne… Maintenant, nous savons qu’il n’y a aucune autre armée prête à combattre la Russie. Il n’y a que nous. Notre monde va devoir faire face à des temps difficiles. Ni la Russie, ni la Chine, et pas non plus la Corée du Nord, ne veulent changer leur vision et leur volonté de dominer le monde. Nous ne pourrons pas les amadouer. Les armées européennes sont assez faibles. Aucune armée européenne ne serait capable de résister à une attaque de milliers de drones en une journée comme nous le faisons. La Russie est devenue beaucoup plus forte qu’en 2022, mais c’est aussi le cas pour l’Ukraine. Il faut comprendre la réalité :Poutine ne comprend que la force.
Estimez-vous que l’Europe aurait dû vous soutenir sur le terrain ?
Nous avons une bonne collaboration avec le gouvernement français et avec la ville de Cannes,avec laquelle nous sommes jumelés. Je comprends les difficultés politiques de chacun des pays. Plus la guerre dure, plus les partis radicaux gagnent en popularité dans les pays européens. Il ne faut pas craindre de fournir à l’Ukraine des armements puissants pour lui donner la possibilité de libérer ses territoires. Si nous avions bénéficié d’un meilleur soutien dès 2022, nous aurions déjà libéré la Crimée, les régions de Donetsk et de Lougansk.
Attendez-vous encore quelque chose de Donald Trump ? Les Etats-Unis sont-ils toujours un partenaire ?
Donald Trump ne pense qu’aux intérêts américains. Les Etats-Unis sont loin, alors que Lviv et Paris sont à moins de 2000 kilomètres. Nous sommes obligés de dire que Trump est un partenaire, car nous connaissons sa psychologie. Mais plus l’Europe sera unie, et plus nous pourrons espérer que la position de Trump soit en notre faveur.
Si je comprends bien, il est hors de question que l’Ukraine cède du territoire ?
JAMAIS. C’est notre terre, de père en fils. Si nous abandonnons un territoire, cela signifiera que nous capitulons. Et la capitulation entraine la mort. C’est comme si nous laissions un crocodile nous dévorer une jambe en lui disant : « maintenant tu me laisses tranquille ». Non, il faut se défendre. Sinon il continuera à nous dévorer.
Êtes-vous convaincu que si la paix intervenait maintenant, Poutine poursuivrait sa conquête ?
Jamais il ne s’arrêtera. Il faut lire le testament de Pierre 1er (tsar puis Empereur de Russie de 1682 à 1725, ndlr) pour comprendre la psychologie de la Russie. « Chaque jour de paix doit être utilisé pour la préparation de la guerre. Et chaque jour de guerre doit être mis au service de l’occupation de nouveaux territoires ». Ce sont des descendants des Tatares mongols, ils peuvent avoir un royaume, un empire, une union. Les noms changent, pas leur nature. Cela fait près de quatre ans que nous nous battons contre un pays plus grand, plus puissant que le nôtre et nous n’avons pas peur. Ce sont nos partenaires qui ont peur. Ils ont peur de contrarier Poutine en nous aidant davantage. Poutine voulait se servir des populations de la Biélorussie et de l’Ukraine pour conquérir d’autres territoires.
Pensez-vous vraiment que Poutine pourrait s’attaquer à un autre pays d’Europe ?
Bien sûr. Pour lui, ce serait trois rien. Il n’y a aucune armée résistante. Demain, mille drones peuvent arrêter n’importe quel pays européen. Ils sous-estiment la nécessité de leur propre protection. L’armée ukrainienne a obtenu des chars allemands qui n’étaient d’aucune utilité sur le terrain.
Pourtant, beaucoup de pays européens ont considérablement augmenté leur budget de défense pour se réarmer…
On ne se réarme pas en un jour. Aujourd’hui, l’Ukraine possède les drones les plus modernes du monde. Nous sommes prêts à coopérer avec la France en partageant notre technologie.
L’Ukraine s’est réarmée tout en menant cette guerre, quelle est sa capacité aujourd’hui ?
Nous pouvons produire des millions de drones, mais nous avons besoin de financements.
Je me réjouirais d’une aide financière de la France, mais aussi d’une contribution à la production sur son territoire, qui est sécurisé. Cela nous permettrait de gagner du temps. Nous savons ce qui est efficace ou non.
Combien de temps l’Ukraine peut-elle tenir ?
Vous voyez notre dynamique des quatre dernières années. Je rends régulièrement visite à nos soldats sur le front. Nous manquons de matériel et d’hommes, mais personne ne veut battre en retraite. Il nous faut davantage de coopération et nous pourrons reconquérir nos territoires. La Russie utilise la peur comme arme. Je voudrais que nos partenaires ne raisonnent pas en termes de peur. La Russie est un pays que l’on peut vaincre.
Quel message feriez-vous passer à l’opinion publique française, qui peut avoir le sentiment qu’il ne s’agit pas de sa guerre, qu’elle coûte cher alors que nos finances vont mal ?
Pour moi la France, est un modèle de démocratie. Nous devons nous mettre ensemble du côté du bien. Vous êtes une belle nation. La liberté ne se brade pas. Nous nous battrons jusqu’au bout, avec ou sans vous. Car nous sommes une nation qui a le droit à l’indépendance. Je remercie les Français pour ce qu’ils ont fait et ce qu’ils feront.
Nous n’avons pas encore évoqué les 20 000 enfants ukrainiens kidnappés par la Russie, ce qui constitue un crime de guerre et dont Poutine devra répondre. Avez-vous un espoir de les retrouver ?
Chaque jour compte et il faut unir les forces du monde entier. C’est une question cruciale pour nous car avec ces 20 000 enfants, ils veulent faire 20 000 soldats pour les utiliser contre nous.
Nous sommes ici à Lviv. Pouvez-vous nous dire combien de vos administrés sont partis au combat depuis le début de la guerre ?
A ce jour, 58 000 personnes sont au front. Nous avons perdu plus de 1470 personnes. Nous avons été témoins, ce matin, du rapatriement de trois corps et d’une cérémonie funèbre pour leur rendre hommage. Chaque jour, nous honorons nos morts. Lviv accueille également cent cinquante mille déplacés internes au pays. Avec eux, Lviv compte un million d’Ukrainiens.
Ce matin, nous étions au cimetière militaire. Mille cent héros y reposent. Vous souvenez-vous de ce que vous avez ressenti lors du premier rapatriement de corps ?
Bien sûr, je me souviens. Les premiers cercueils sont arrivés en 2014. Depuis, le début de la guerre, je participe à toutes les cérémonies funèbres. Je dépose des fleurs sur chaque nouvelle tombe, pour chaque défunt. Et j’adresse mes condoléances à chaque famille qui a perdu un proche. Je vois la douleur dans les yeux des familles et je vois les cœurs déchirés. Et ça fait peur. Cela fait onze ans que nous vivons dans cet état de guerre. C’est une immense tragédie de voir des personnes perdre leur vie dans ce conflit. Les missiles sont maintenant tellement rapides que nous n’avons pas toujours le temps de nous réfugier. Les premiers morts de 2022 étaient des civils, justement à cause de ces missiles qui venaient de Russie.
Comment jugez-vous l’état psychologiques des Ukrainiens après toutes ces années noires ?
Nous n’avons pas le choix : soit nous obtenons la victoire, soit nous mourrons. Au siècle dernier, nous avons perdu la moitié des hommes et un tiers des femmes parce que nous n’avions pas obtenu un Etat indépendant. Nous avons aussi survécu à la famine. Ici, il n’est pas une famille qui a été épargnée. Certains ont connu la déportation en Sibérie. Dans les années 1945, nous avons été marqués par des répressions terribles. Nous savons que l’objectif de la Russie est de détruire l’Ukraine. Nous combattrons jusqu’à la fin. Nous n’avons pas d’autres options.
Volodymyr Zelensky est-il toujours la bonne personne au bon endroit ?
Il est élu par le peuple ukrainien. Vous remarquerez qu’à chaque élection, les Ukrainiens changent de président. Mais en temps de guerre, nous sommes tous sur le même vaisseau.
Dès lors qu’il pourra y avoir une élection, serez-vous candidat ?
En aucun cas je parlerai d’élections maintenant. Cela pourrait être utilisé. Il n’y a qu’un Président, c’est monsieur Zelenski. Il n’y a qu’un parti, c’est le peuple ukrainien.