À la lecture du projet de loi de finances, une surprise de taille apparaît : la subvention allouée à l’Institut Français de la Mode (IFM) pourrait être supprimée dès 2026. Une perspective qui, si elle se confirmait, interrogerait profondément la cohérence de la politique industrielle, culturelle et d’influence de la France. L’Hémicycle, qui a consacré de nombreux travaux à la mode, au textile et au rayonnement français ces dernières années, en analyse les conséquences.

L’IFM occupe depuis plusieurs années une place singulière dans le paysage mondial. Avec 1 400 étudiants issus de 74 pays, dont 60 % d’étrangers, l’école rassemble excellence académique, attractivité internationale et contribution directe au prestige français. Établissement privé, associatif, à but non lucratif, reconnu d’utilité publique, il repose sur une gouvernance où cohabitent les grandes maisons, les industriels, les distributeurs et l’État, représenté par la Direction générale des entreprises.
Une décision inattendue et sans concertation apparente
Jusqu’ici, la participation financière de l’État constituait l’un des fondements d’un modèle public-privé exceptionnel en France. La subvention, inscrite à hauteur de 1,6 million d’euros pour 2026, avait vocation à décroître progressivement selon un calendrier négocié avec l’administration.
La disparition totale de cette ligne budgétaire, sans préavis ni concertation, étonne jusque dans les rangs de l’école.
Xavier Romatet, directeur général de l’IFM, confie : « Si cette suppression se confirmait, elle remettrait en cause l’équilibre même de notre modèle. En plus des conséquences financières immédiates , c’est la pérennité d’un modèle public/privé qui a fait ses preuves qui est menacé sans raison ».
Au-delà de la surprise, l’inquiétude porte sur les conséquences immédiates : fragilité financière, impossibilité réelle d’engager certains investissements, et affaiblissement du rôle de l’État comme garant du bon fonctionnement d’une gouvernance mixte et équilibrée dont il était l’arbitre.
Un risque majeur pour un levier central du soft power français
La question dépasse celle du financement d’un établissement. La mode constitue l’un des piliers les plus puissants du soft power français. Les enquêtes et analyses publiées par L’Hémicycle ces dernières années l’ont largement montré : dans un monde où l’influence culturelle est devenue un champ de compétition stratégique, la mode est l’un des vecteurs les plus efficaces de l’autorité symbolique française.
C’est précisément cette dimension internationale qui pourrait être fragilisée.
« Je suis venue en France parce que l’IFM est considéré en Asie comme l’une des meilleures écoles au monde », explique Lin, étudiante originaire de Shanghai. « L’excellence française attire et inspire. Je ne comprends pas pourquoi l’État se retirerait à un moment où la concurrence internationale s’intensifie ».
Dans un contexte où la Chine, l’Italie, la Corée ou encore les États-Unis investissent massivement dans la formation aux métiers de la mode, une France affaiblie sur ce terrain enverrait un signal contradictoire par rapport à ses ambitions affirmées de réindustrialisation, de relocalisation et de valorisation des savoir-faire.
Quels impacts sur la filière et ses projets structurants ?
La suspension envisagée toucherait plusieurs chantiers essentiels pour l’ensemble du secteur. Le projet de filière dédiée au management industriel, conçu pour combler un manque critique de compétences, serait paralysé. Le développement de formations artisanales et techniques, crucial pour la transmission des savoir-faire, serait freiné. À l’international, les projets au Bénin, en Côte d’Ivoire ou en Arabie saoudite pourraient être ralentis ou abandonnés, alors même qu’ils servent la présence culturelle française et ouvrent des opportunités éducatives à de jeunes publics encore peu dotés.
Le risque est clair : laisser la place à d’autres puissances mieux organisées et mieux dotées financièrement, au moment où la France cherche à renforcer sa présence en Afrique et au Moyen-Orient.
Une gouvernance public-privé fragilisée
L’architecture de l’IFM repose sur un équilibre subtil : des financements privés robustes, une forte mobilisation des acteurs industriels et la présence de l’État comme garant de l’intérêt général. La disparition de la contribution publique remettrait en cause la confiance mutuelle entre les partenaires et pourrait, à terme, pousser l’école vers une privatisation contrainte, contraire à son identité et à sa mission.
En creux, une question demeure : pourquoi fragiliser ce qui fonctionne, alors que ce modèle hybride a démontré sa pertinence et son efficacité ?
Une clarification s’impose
La mention du retrait de la subvention dans le projet de loi de finances laisse pour l’heure plus de questions que de réponses. Faut-il y voir un arbitrage budgétaire ponctuel ? Un changement assumé de doctrine publique ? Une erreur technique susceptible d’être corrigée ?
Dans un secteur aussi symbolique, où la France joue sa place dans la compétition mondiale des industries culturelles, affaiblir l’IFM reviendrait à contrarier une stratégie d’influence pourtant affirmée. Une clarification rapide apparaît nécessaire.



