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Coupe du monde 2022

Le sport, un outil pour casser les plafonds de verre

Pascal gentil, le champion français de taekwondo, double médaillé de bronze olympique (2000, 2004), et Saïd Hammouche, l’entrepreneur social, reconnu pour son action en faveur de l’inclusion économique via la Fondation Mozaïk et du cabinet de conseil Mozaïk RH, partagent leur regard sur les enjeux du Mondial.

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La coupe du Monde de football au Qatar constitue l’événement sportif de cette fin d’année 2022. Comment voyez-vous ce rendez-vous pour tous nos compatriotes ?

Saïd Hammouche Avec beaucoup d’émotion, évidemment, et des rêves plein la tête, même si je n’oublie pas les conditions dans lesquelles cette compétition a été bâtie…  Mais je vois surtout une belle réussite sportive pour les Bleus. Au-delà de la compétition elle-même, j’espère que nous gagnerons aussi en empathie en matière d’interculturalité. Ce qui m’est cher, c’est la capacité à reconnaître l’autre pour ce qu’il est et pas forcément par rapport à des préjugés qui peuvent être véhiculés. J’espère ainsi que notre regard sur le monde évoluera positivement. J’attends donc de merveilleux moments et Qatar 2022 sera, j’en suis convaincu, un grand souvenir. Nous avons besoin de ces grands rendez-vous pour susciter une plus grande cohésion nationale, ici comme ailleurs. Concernant le Qatar, je souhaite que nous connaissions un peu mieux ces contrées lointaines, qui profitent de ces compétitions pour révéler tout leur potentiel. J’aime les surprises et je m’attends à être émerveillé. L’émotion sera, bien entendu, plus forte si nous gagnons. 

Pascal Gentil Nous sortons d’une période difficile à la suite de la crise du Covid-19 et sommes actuellement dans une situation internationale compliquée avec le conflit en Ukraine. Comme Saïd, je souhaite que nous partagions une fête populaire nous unissant derrière notre drapeau et en nous réjouissant du parcours de notre équipe. Nous avons besoin de prendre du plaisir à nouveau, comme celui que nous avons connu en 1998 et en 2018. En 2022, pourquoi pas une nouvelle étoile sur notre maillot !

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Faut-il voir dans l’équipe de France le catalyseur d’une dynamique positive en France ?

P. G. Les sportifs de haut niveau sont dévoués à leur tâche et l’on a tendance à trop souvent pointer quelques égarements, alors même que la majorité d’entre eux ont un comportement exemplaire. Les champions ont avant tout envie de jouer et d’aller le plus loin possible dans les compétitions pour donner du bonheur aux fans. Et, pour les aider, j’espère que toute la communauté française sera derrière nos Bleus. S’ils sont performants, l’engouement populaire sera intense et l’envie de communier, totale. En 2018, j’étais en Chine pour préparer les JO de Pékin 2022, et la ferveur était palpable. Je ressens la même électricité, et j’ai le sentiment que le pays veut rêver à nouveau.

Le sport est-il aussi un moyen de faire tomber les barrières ?

S.H. Bien sûr. Le sport est l’occasion de découvrir les individus et de révéler les talents sous d’autres angles. En France, on regarde trop les personnes par rapport à leur position sociale ou leur situation professionnelle. Or, nous ne sommes pas tous bien nés, et seul le sport peut dépasser les clivages ou de lever les mécanismes de discrimination : sur un terrain, les différences sociales s’effacent et seul le talent compte… C’est un fait avéré. Je regarde souvent la réussite sportive sous l’angle des aptitudes professionnelles. Et ce qui fait, au fond, la différence, c’est le mental. Il en va de même dans le monde professionnel. Quand on doit aller chercher du chiffre d’affaires pour assurer le développement, c’est aussi le mental qui joue. Le sens de l’effort ou le dépassement sont des aptitudes transférables dans la vie quotidienne et qui sont très recherchées dans le monde du travail. Grâce aux éducateurs, la France est une fabrique de grands sportifs qui pourraient servir de modèles et, indirectement, de leviers de croissance pour notre nation. Vous savez, un bon commercial est celui qui a le goût de l’effort et qui va au-delà de ses limites. Comme recruteur, j’essaye avant tout de détecter ce genre d’aptitudes chez les candidats que je rencontre.

P. G. Le sport est un fabuleux outil pour casser les plafonds de verre. De nombreux acteurs, en France, l’ont compris depuis plusieurs années : l’arrivée des Jeux olympiques et paralympiques a donné un élan considérable à toutes les initiatives utilisant le sport comme vecteur, notamment pour révéler les talents. Le 7 novembre, la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, et ses homologues du Travail et de l’Enseignement et de la Formation, ont présenté une feuille de route commune sur le développement de l’emploi et de l’insertion par et dans le sport, à l’occasion d’un des 200 job datings sportif organisés dans notre pays.

Le foot, notamment lors des coupes du monde, permet-il de dépasser les tensions entre les pays et d’en comprendre les différences ?

S. H. Le temps fait son œuvre, la stigmatisation empêche l’évolution. Donc, laissons des pays qui sont dans des temporalités différentes le délai nécessaire pour avancer. N’oublions pas qu’en France, le droit de vote a été accordé aux femmes il y a soixante-quinze ans ! Et il a fallu attendre 1982 pour que l’homosexualité soit dépénalisée.

P. G. Tout dépendra de ce que l’on en fait. La Coupe du monde est un prétexte extraordinaire pour rapprocher les peuples. En 2018, on a découvert la Russie. Avec Qatar 2022 nous connaîtrons mieux le pays et ses habitants sans a priori ni d’idées préconçues. Il faut changer de perspective et nous concentrer sur les passions que nous partageons au-delà des frontières. Nous avons trop tendance à critiquer certaines nations qui ne sont pas à notre image. Or, sur place, il y a des personnes qui avancent, qui ont une vision, un rêve. 

Nos footballeurs ont donc leur place au Qatar ?

S. H. Le sport international est un merveilleux instrument de diplomatie. Le sport peut nous aider de mieux nous comprendre et à aller vers une situation plus apaisée entre les nations.

P.G. Le sport doit rester du sport. La politique, c’est autre chose. Ce n’est pas aux sportifs de porter ce genre de responsabilité. Aux sportifs de nous faire rêver, et aux dirigeants de gouverner.

Le sport reste-t-il un moteur d’intégration pour les jeunes des quartiers populaires ?

S. H. Il est un moyen de mieux se comprendre et de s’approprier d’autres valeurs que la simple réussite financière, contrairement aux pros du foot.  On est plutôt dans le partage, l’effort, la production physique qui fait tomber toutes les frontières. En France, nous avons la chance d’avoir des milliers d’éducateurs sportifs qui portent ces valeurs. La promotion sociale est naturelle pour celles et ceux qui en ont envie. La réussite ne signifie pas forcément gagner beaucoup d’argent ; c’est l’émancipation de l’individu qui compte. Cependant, attention à ne pas renfermer la banlieue dans un stéréotype ; elle fournit des sportifs tout comme elle est en mesure de fournir de futurs dirigeants d’entreprise ou des entrepreneurs.

P.G. Tout à fait. Et, aujourd’hui, c’est le rôle social du sport qui est valorisé, avec de nombreux acteurs de terrains qui effectuent un travail formidable et souvent bénévole. Et c’est grâce aux clubs qu’on arrive à recréer un lien avec des jeunes éloignés de toute formation ou opportunité professionnelle. Le foot est un sport populaire qui nous réunit, et cela doit rester un jeu. Le sport business existe bien, mais n’est pas le cœur de l’expérience que vivent nos concitoyens. Le tissu associatif mobilise de nombreuses personnes qui s’engagent et prennent en main des centaines de milliers de jeunes. Les bénévoles, ce sont eux qui font le job et qu’il faut valoriser. 

Qatar 2022 peut-il donc être, si tout se passe bien, l’occasion d’une grande communion nationale ?

S. H. Une compétition comme celle-là constitue un aboutissement pour le sportif et une expérience ultime qui le marquera à jamais. Mais c’est aussi l’occasion pour tout le peuple de se réunir. Il faut profiter de ce point d’orgue pour se parler, susciter le dialogue et vivre ensemble des émotions par procuration. Ils seront d’ailleurs très nombreux, j’en suis sûr, devant leur télé. Sans compter qu’il est assez exceptionnel de voir une coupe du monde en hiver, juste avant les fêtes de Noël !

P.G. On doit attendre beaucoup de cet événement. Durant ma carrière, j’ai constaté que quand on vibre ensemble, on vit mieux en société. Cette vibration et ce partage conduisent naturellement vers une plus grande sociabilité. Dans les tribunes, dans une fan zone, chez soi ou entre amis, ce sont des moments rares. Comme sportif de haut niveau, j’aimais partager avec le public quand j’étais sur le tatami. 

Pour aller plus loin, comment utiliser positivement cette coupe du monde au Qatar ?

S. H. Je considère que c’est une période unique pour renforcer sa culture générale. Cette nation microscopique est jeune et s’est développée à une vitesse supersonique. Il y a cinquante ans, il n’y avait là que des pêcheurs et un désert. Aujourd’hui, sa trajectoire est remarquable et ce type de nation émergente peut être, dans le moment difficile que traverse l’Europe, un levier de croissance. Il faut juste que nous regardions ce pays avec d’autres lunettes. 

P. G. Laissons tomber nos préjugés, les critiques ou les posts surréalistes qui véhiculent une fausse image. Ayant vécu une dizaine d’années en Chine, je suis encore ébahi par tout ce que j’y ai découvert, qui n’avait pas grand-chose à voir avec tout ce qu’on avait pu me raconter sur ce pays avant d’y aller. Force est de constater que l’on vit très bien hors de France, malgré ce que l’on entend. J’en profite aussi pour signaler que partout sur le globe, on aime fort la France. Notre pays fait rêver, au Qatar comme ailleurs !

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Comment s’assurer que le soufflé ne retombe pas juste après ?

S. H. Il y a de plus en plus de radicalité dans tous les pays. Une compétition comme Qatar 2022, je l’espère, rassemblera tout le monde. Si nous faisons la fête, unis, en nous respectant, ce sera un formidable héritage pour la suite. Sachons profiter simplement de cette émotion et la faire durer dans notre quotidien.

P. G. Il y aura toujours des événements qui procureront des émotions et feront remonter l’ascenseur émotionnel. Supporter son équipe génère naturellement une dynamique positive. La France va organiser des événements majeurs qui nous permettront de communier à nouveau. Le soufflé retombera peut-être, mais rebondira vite sur d’autres compétitions. La France a démontré qu’elle sait organiser des événements et le meilleur est à venir.

A titre personnel, qu’avez-vous retiré de votre expérience de sportif ?

S. H. Quand vous parvenez dans un sport comme le judo au niveau 2e dan, vous apprenez beaucoup. J’ai d’abord payé mes études grâce à mon job d’animateur sportif, et cela m’a aidé à me construire. Comme je le disais, l’exigence du sportif est identique à celle de l’entrepreneur que je suis devenu.

P. G. L’effort, l’engagement, l’esprit d’équipe, même dans un sport individuel comme le mien, l’humilité, l’échec… le sport de haut niveau m’a tant appris, à mes débuts, en tant que capitaine de l’équipe de France, aux Jeux Olympiques, etc. Je ne sais pas si c’est la meilleure école, mais c’est ma formation. Et aujourd’hui, je suis content où de voir où cela m’a mené. 

L’équipe de France doit-elle forcément gagner la coupe pour que nous profitions d’une onde de choc positive ? 

S.H. Plus la France ira loin, plus cela fera du bien au peuple français… et pas seulement aux fans du ballon rond.

P.G. Si la France ne brille pas… c’est la loi du sport. Les meilleurs gagnent, mais la performance est évidemment un moteur positif. 

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