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Quand les employeurs du secteur social et médico-social sont obligés de mendier leur budget

Alors qu’ils prennent en charge plus de dix millions de précaires, les employeurs du secteur social et médico-social à but non lucratif manquent de moyens. Plusieurs d’entre eux, regroupés au sein de Nexem, ont participé à une action coup de poing au premier jour de l’examen du projet de de financement de la sécurité sociale.

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« Monsieur le président, c’est le moment de vous rappeler que rien n’a changé et qu’il est urgent d’agir pour ces professionnels laissés pour compte. » Une banderole déployée devant l’hôtel de Matignon, un sit-in d’employeurs faisant mine de mendier devant les grilles de l’Assemblée nationale, un manifeste « Solidarité en danger »… Des représentants de Nexem, la principale organisation professionnelle du secteur social et médico-social à but non lucratif, ont interpellé ce 24 octobre les pouvoirs publics sur leur manque de moyens. Ils ont été rapidement délogés par les forces de l’ordre, mais peu importe, leur message est passé, au premier jour de l’examen du projet de loi de finance de la sécurité sociale (PLFSS). « C’est quand même un comble, ce sont les patrons qui manifestent pour pouvoir payer leurs salariés », se désole le président de Nexem, Alain Raoul, ancien de l’Armée du salut.

Nexem représente 11 000 établissements et plus de 330 000 employés, qui accompagnent près de trois millions de personnes vulnérables. Ces associations sont des acteurs clés de la société, dont elles prennent en charge les plus précaires : femmes et enfants victimes de violence, personnes en situation de handicap, retraités en perte d’autonomie, sans domicile fixe… Or, les associations du secteur médico-social sont exclusivement financées par des aides publiques en provenance de l’État et des conseils départementaux. « Ces dotations sont insuffisantes depuis des décennies, alors que les besoins augmentent sans cesse », constate Alain Raoul. Quand ce ne sont pas carrément des baisses de moyens : la ville de Paris, qui fait aussi office de département, a ainsi rogné 2% sur le budget 2023. 

« Il est urgent d’agir pour nos professionnels qui sont laissés pour compte, tonne Alain Raoul. Nos professionnels sont les artisans de la cohésion sociale. Il y en a assez des promesses non tenues, on ne peut pas construire une société solidaire sans ceux qui accompagnent les personnes les plus vulnérables. » Lassés par les paroles d’Emmanuel Macron, qu’ils estiment non suivies d’effet, déçus par une ministre des Solidarités qui, selon eux, n’apporte pas de réponse à leurs problématiques, ces employeurs ont décidé de changer de méthode en se mobilisant devant le Palais-Bourbon et de s’adresser directement aux parlementaires. D’abord sur le fond, avec une campagne de lobbying en circonscription durant laquelle députés et sénateurs ont été sollicités par des délégués régionaux, mais surtout via des amendements prérédigés. Une première pour l’organisation. Sur les 23 amendements poussés par Nexem, quatre ont été repris par les députés. Seront-ils définitivement adoptés ? Le président de Nexem n’a aucune certitude.

A proximité de l’Hôtel de Matignon.

Le nerf de la guerre contre la précarité, c’est l’argent. Et, de ce point de vue, la situation est alarmante : selon une étude du Mouvement associatif, 4% des associations médico-sociales pourraient se retrouver en cessation d’activité d’ici la fin de l’année et ses pensionnaires, à la rue. C’est le cas de cette maison de retraite du Finistère-Nord en déficit majeur et de ses 110 personnes accompagnées. Au-delà des crédits insuffisants, l’inflation touche de plein fouet ces établissements, qui subissent la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie.

Des salariés de plus en plus difficiles à recruter

Avec quelque 50 000 postes vacants, tout le secteur est sous tension, d’autant que 200 000 salariés partiront à la retraite d’ici dix ans. Des emplois pourtant pérennes et non délocalisables, mais mal payés, avec des salaires inférieurs de 25% à la moyenne nationale et une convention collective qui démarre sous le Smic. « Nous sommes en train de créer des travailleurs précaires, s’insurge Alain Raoul. Prenez un éducateur, il y a une dizaine d’années, il débutait sa carrière à 1,6 Smic, aujourd’hui son salaire à l’embauche dépasse à peine le salaire minimum. » Le secteur associatif est par ailleurs victime d’une distorsion de concurrence de la part des établissements gérés par l’État ou les collectivités locales, où les postes sont mieux rémunérés. Alain Raoul prend l’exemple des infirmières hospitalières, qui vont voir leur salaire augmenter de 400 euros bruts par mois lorsqu’elles travaillent la nuit. « Dans nos maisons d’accueil spécialisées pour handicapés, des infirmières, qui font le même travail la nuit, ne bénéficieront pas de cette revalorisation », regrette-t-il. 

Patrick Enot est l’un des responsables de la maison d’accueil pour enfants les Écureuils, au Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire. Cette structure accueille une soixantaine de pensionnaires, du bébé au jeune adulte. Remplacer les départs à la retraite est devenu un casse-tête : « Lorsque nous avons dû recruter un maître de maison, les candidats nous expliquaient qu’à poste égal, les salaires étaient plus attractifs dans la fonction publique. Il y a quelques années, nous recevions entre 10 et 15 candidatures spontanées par mois, nous en recevons désormais une ou deux, maximum. C’est nous qui devons nous vendre aux candidats ! » Un manque de personnel qui contraint certains établissements à refuser des prises en charges, non par manque de places mais de personnel.

Les employeurs associatifs du secteur social et médico-social à but non lucratif se battent aujourd’hui pour sortir de l’anonymat, dans lequel ils s’estiment enfermés. Invisibilité vis-à-vis des pouvoir publics, mais aussi de l’opinion. « Le grand public ne se rend pas compte de la place que tiennent nos professionnels dans la société, regrette Alain Raoul. Tant que vous n’êtes touché directement, parce que vous avez, dans votre famille, une personne âgée en perte d’autonomie ou une personne handicapée, leur action n’est pas visible. Les acteurs de terrain dans la protection de l’enfance ou dans l’accompagnement des personnes qui vivent dans la rue passent inaperçus. II y a des bénévoles, mais ils n’ont pas la formation pour agir sur des problématiques telles que les enfants autistes ou les jeunes délinquants ». Nexem va continuer de se battre avec cet argument choc : faire comprendre à l’opinion publique que l’attitude du gouvernement met en danger la cohésion sociale du pays. 

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