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Politique

Olivier Marleix : « Macron est le dernier président des années 1990 » 

Le président du groupe Les Républicains à l’Assemblée dresse, pour L’Hémicycle, un premier bilan de son action législative et souligne comment les idées de la droite se distinguent de celles du chef de l’État, qui ne le ménage pas.

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Vous êtes à la tête d’un groupe politique clef, qui est charnière à l’Assemblée nationale. Faute de majorité absolue, le gouvernement a en effet besoin des voix des députés LR pour faire passer ses projets de loi. Il n’est pas rare, d’ailleurs, que les ministres vous appellent avant les débats. Quel bilan tirez-vous, à ce stade, de cette mandature singulière ?

Olivier Marleix La période est en effet totalement inédite. C’est la première fois au cours de la Ve République que l’on se retrouve avec une assemblée qui est le produit de la fracturation du pays, voulue par Emmanuel Macron, avec trois blocs : un bloc central, une extrême gauche et l’apparition d’un RN très fort. L’hémicycle paraît donc en partie bloqué ; mais il le serait tout autant s’il y avait une dissolution, car on aurait peu ou prou la même Assemblée, sans doute en pire. Ce choix de ne pas donner au président de majorité absolue est celui des Français, qui ont voulu le mettre sous tutelle. Il faut donc accepter cette configuration politique, dans laquelle chacun d’entre nous a la responsabilité d’être le plus utile aux Français. 

J’ai été élu député à trois reprises, une fois contre la vague Hollande, une autre contre la vague Macron et en 2022, dans un contexte de forte progression des extrêmes. Que veulent les électeurs ? Que vous soyez utile. Ils ne disent pas : « Allez-y pour tout bloquer ». C’est ce qui guide l’engagement du groupe LR. À chaque fois que le gouvernement reprend des idées de notre programme, nous répondons présent, nous posons nos conditions et nous votons en conscience et indépendance. Cela n’est toutefois pas possible sur les textes budgétaires auxquels le fait de s’associer représenterait une forme d’approbation qui ne nous paraît pas justifiée, compte tenu de leur légèreté et leur orientation générale. Quand Bruno Le Maire nous invite au rendez-vous de la responsabilité du redressement de nos finances publiques, il se paie notre tête. Ce rendez-vous, il a lieu tous les ans, cela s’appelle le budget de l’État. Or, cela fait six ans qu’il envoie le pays dans le mur. Nous serons le dernier pays de l’Union européenne à passer sous la barre des 3% de déficit public, après la Grèce, l’Italie et le Portugal !  En réalité, le gouvernement est obligé de venir devant l’Assemblée nationale avec des projets qui ont une chance d’avoir notre soutien ; il ne peut pas se hasarder avec un texte qui ne nous conviendrait pas. Je vois la Première ministre en tête-à-tête tous les trois mois, elle présente la liste des textes que le président de la République lui a demandé de soumettre, et, de façon très nette, je lui dis oui ou non. 

Est-ce qu’elle en tient compte ?

O. M. Oui, visiblement. Sinon, elle n’aurait pas de majorité. Ou il faudrait qu’elle trouve une réponse commune avec la gauche… Nous avons dit clairement que nous serions au rendez-vous de toutes les réformes économiques de redressement : la réforme de l’assurance chômage, le RSA subordonné aux quinze heures d’activité… J’avais, en revanche, prévenu Élisabeth Borne, il y a plus d’un an, que le texte sur l’immigration ne passerait pas s’il contenait des mesures de régularisation. C’est le sujet sur lequel le groupe LR était susceptible de déposer une motion de censure, si la Première ministre était tentée de passer en force. Le message avait été entendu puisque le dépôt du texte a été reculé à huit reprises, puis retiré par le président de la République lui-même, avant d’être finalement déposé. La menace est toujours là. 

Le groupe LR a tout de même été traversé par des vents contraires, notamment au moment des retraites. Les choses sont-elles rentrées dans l’ordre ?

O. M. Il ne faut pas le cacher : il y a eu un moment de tension qui tenait, en grande partie, à la façon dont le président de la République portait cette réforme. Il a donné l’impression, que loin de rechercher l’adhésion des Français à son projet, il voulait plutôt créer un clivage ; en réalité, une si petite réforme n’aurait jamais dû susciter autant de tensions dans le pays. Ce défaut de méthode a eu des conséquences un peu partout, notamment dans mon groupe, mais aussi dans la majorité. Mis à part ce moment compliqué, le groupe vote de manière très rassemblée depuis un an et demi. Il n’y a jamais plus de trois ou quatre voix divergentes. Moi, je suis attaché au respect de la fonction parlementaire et à son indépendance. Tout mandat impératif est nul, dit la Constitution. Le député a le droit d’avoir des convictions. Nous ne sommes pas des godillots derrière tel ou tel chef politique. À l’inverse du Rassemblement national (RN) ou de la France Insoumise où, c’est certain, chacun doit voter comme un seul homme. 

Pour revenir à ce sujet de l’immigration, Les Républicains donnent l’impression de ne parler que de cela, quitte à courir parfois derrière le RN. On n’entend guère leurs idées sur d’autres thématiques…

O. M. C’est un mauvais procès. Permettez-moi de vous donner trois axes de démarcation clairs avec En Marche ! et le RN. Nous prônons une régulation stricte des flux migratoires avec constance depuis des décennies, et contrairement à Marine Le Pen, nous ne vendons pas aux Français de fausses mesures magiques mais proposons un projet cohérent et réaliste. Pourquoi cette question mérite-t-elle, c’est vrai, d’être traitée en priorité ? Parce que notre capacité à recevoir qui l’on souhaite, dans les conditions que l’on fixe, c’est ni plus ni moins que se donner la possibilité de (re)faire nation avec ceux que la France accueille. La question « essentielle » est : que signifie être français ? Si c’est « vouloir faire de grandes choses ensemble », comme le disait Renan, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a des ratés. 

Deuxième sujet qui nous distingue de la Macronie, c’est sa conception de l’économie. Macron est le dernier président des années 1990. C’est un homme d’une autre époque, il est le mondialiste qui prône toujours plus d’ouverture au grand marché mondial et, en même temps, la redistribution pour passer la serpillière sociale. C’est étonnant, pour un dirigeant jeune, d’être à ce point anachronique. Et il l’exprime de manière assez cynique. Sa vision de l’économie révèle sa conception de la société : une conception de caste. Pour lui, il y a ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien (quelle horrible phrase !) : les gagnants et les perdants de la mondialisation. Un président de la République doit défendre une vision de l’économie dans laquelle chacun est nécessaire, parce qu’il y a une place pour tous. C’est vraiment ce qui le distingue de ses prédécesseurs. Chirac était capable de se battre pour défendre l’agriculture française, Sarkozy pour notre industrie. Quand un jeune techno de Bercy vient lui dire, en 2004, qu’Alstom ne vaut plus un clou, il lui demande de reprendre le dossier en imaginant que son père est un des ouvriers d’Alstom. Et il sauve l’entreprise. Quand, en 2012, un émissaire de Rothschild & Co vient dire à Macron « on a un projet pour Alstom avec un acquéreur américain, est-ce que ça te pose un problème ? », ça lui va très bien. Le projet, pour moi, c’est exactement l’inverse du macronisme : plus de liberté à l’intérieur du pays pour nos acteurs économiques et plus de protection vis-à-vis de l’extérieur. 

Et le troisième sujet ? 

O. M. C’est le redressement de la France et de l’État. On ne peut pas être le pays qui dépense le plus, prélève le plus et avoir des services publics en lambeaux. Nous sommes au bout du système, avec plus de 3 000 milliards d’euros de dettes et une charge de la dette par Français de 44 000 euros. Imaginez ce que cela fait pour une famille avec deux enfants : près de 180 000 euros ! Cette dette, les Français la remboursent à travers leurs impôts. Ce sera le legs de Macron. Comment est-ce qu’on redressera le pays ? En arrêtant la démagogie, en arrêtant de donner des chèques de 100 euros pour tout et n’importe quoi. Quarante ans après la première décentralisation, l’État n’est plus responsable de rien directement, il ne construit presque plus de routes et n’en gère que 10 000 kilomètres, il ne construit pas de lycées, de collèges, d’universités ou d’hôpitaux. Et pourtant, la fonction publique a explosé, en particulier la haute fonction publique d’Etat, qui est passée de 25 000 personnes en 1985 à 70 000 aujourd’hui ! Que font-elles, alors qu’il n’y a presque plus rien à gérer ? Elles fabriquent de la norme et, ensuite, elles en font la police. Bienvenue en absurdie !

Quelles réformes faut-il effectuer ? 

O. M. Parmi les grands services publics défaillants, l’exemple des agences régionales de santé me paraît emblématique. Les ARS, c’est 800 millions d’euros par an, pour quoi précisément, alors que des gens meurent sur des brancards aux urgences ?  Le poids de l’administration n’est pas proportionnel à son efficacité, il se peut même que la corrélation soit parfois inverse ! Si vous supprimez 10% des 70.000 très hauts fonctionnaires que j’évoquais à l’instant, vous économisez un milliard par an ! Autre chose qui nous frappe quand on analyse l’évolution des dépenses publiques depuis quarante ans : c’est l’explosion de la dépense sociale, notamment du RSA – pour lequel on est passé de 5 milliards d’euros de dépenses en 2004 à 15 milliards aujourd’hui – ainsi que les aides sociales au logement, la fraude aux prestations sociales… Le groupe LR avait demandé à Elisabeth Borne d’aller chercher des économies de ce côté-là. Elle a fini par le faire.

Après l’état de santé du pays, qu’en est-il de celui de la droite, qui est coincée entre le macronisme et le lepénisme ?

O. M. Elle est surtout coincée par le fait qu’elle n’a pas de candidat à l’élection présidentielle. Marine Le Pen a été deux fois finaliste à l’élection présidentielle et Emmanuel Macron deux fois élu président de la République. Donc, effectivement, pour exister – avec le jeu pervers auquel joue Macron de désigner son adversaire préféré –, c’est compliqué. Nous sommes malgré tout dans une situation inédite, avec un président réélu qui ne peut pas se représenter alors qu’il en aurait l’âge. Dans un an, nous serons à la moitié de son mandat. Nos concitoyens commenceront à s’intéresser au rendez-vous présidentiel de 2027. Leur question sera : qui, sinon Marine Le Pen ? C’est là que va s’ouvrir la fenêtre pour retrouver de la visibilité. Les Français passeront sans doute en revue les « enfants de Macron », mais je pense qu’ils voudront tourner la page.

À nous, par conséquent, de faire entendre l’offre politique singulière que porte LR, de donner du sens à nos positions et de créer les conditions d’une vraie alternative. Je fais partie de ceux qui assument parfaitement ce qu’a fait la droite, quand elle était aux responsabilités, sur les enjeux régaliens, l’immigration et la sécurité. Je ne me souviens pas que les Français se plaignaient de la droite à ce sujet. Sarkozy avait, certes, diminué le nombre de policiers et de gendarmes, mais les résultats étaient là, et ils étaient infiniment meilleurs que ceux d’aujourd’hui. En matière de justice, il y avait une volonté de remonter la réponse pénale avec les peines planchers ; elles ont été supprimées, depuis. Bref, la droite était au rendez-vous et elle n’a pas à rougir, contrairement à ce que dit le RN. Nous devons redresser le pays sur le plan économique, et ce n’est évidemment pas le projet de Marine Le Pen qui fera réussir la France. Avec elle, au contraire, nous continuerions de creuser notre cercueil : à l’Assemblée, les députés du RN votent systématiquement avec la France insoumise sur les sujets économiques. Quand on a présenté un texte pour demander quinze heures de travail aux allocataires du RSA, le RN s’est courageusement planqué, et a fini par voter contre.

Aujourd’hui, Marine Le Pen a le vent en poupe. Une aventure populiste est-elle possible en France ?

O. M. Partout dans le monde, la mode semble être à ceux qui attisent le feu du populisme. Ce n’est pas souhaitable. Ce serait un naufrage à la fois social, économique et moral. Je remarque que les pays qui ont vécu ces expériences-là, les États-Unis ou le Brésil, en sont tous revenus assez vite. 

D’aucuns disent qu’une telle parenthèse serait souhaitable pour éradiquer le phénomène, justement, et revenir à un jeu classique d’opposition républicaine entre la droite et la gauche. Qu’en pensez-vous ?

O. M. Épargnons-nous cette aventure ! On ne sait absolument pas où cela mènerait le pays… On sortira de dix ans de Macron, dont au final on n’aura pas compris où il voulait aller, ce n’est pas pour élire une candidate du RN dont on ne sait pas où elle va. L’un et l’autre sont des aventuriers de la politique, sans colonne vertébrale bien solide. Regardez sur l’euro, sur l’Union européenne, combien de fois Marine Le Pen a changé d’avis ! Les Français, après Macron, voudront un changement clair. Il est essentiel de reconstruire l’unité nationale et de sortir de cette tripartition du pays. 

Vous n’êtes pas tendre avec le président. Mais il se dit aussi que vous êtes l’opposant qu’il déteste le plus… Apparemment, il vous fait payer cette opposition résolue : on a appris que votre père, Alain, ancien ministre, avait été barré d’une liste de promotion de l’ordre de la légion d’honneur ou que vous n’aurez pas de brigade de gendarmerie dans votre circonscription, sur intervention directe du président…

O. M. C’est aussi ce qu’on m’a dit (rires). Au-delà de ces petites mesquineries ou des « indiscrets » savamment distillés dans la presse, il est sûr que la composition de l’hémicycle issu des élections de juin 2022 lui pose un sacré problème, lui qui ne supporte aucun contre-pouvoir. Il doit composer avec nous. Je n’ai jamais cherché à avoir des relations amicales avec le président de la République. Ce n’est pas la conception que je me fais de mon mandat de parlementaire, ni du rôle du groupe LR. La « séduction » dont il joue beaucoup n’a aucune prise sur moi. J’assume d’être incorruptible à ses yeux. Ce qui l’agace peut-être…

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