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Les Rencontres de L'Hémicycle

Objectif « plein emploi » : qui doit payer ?

Durcir les modalités de l’assurance chômage, favoriser l’emploi des jeunes et des seniors, ou augmenter la productivité de notre pays ? Pour atteindre le « plein emploi », promis pour 2027 par Emmanuel Macron, les « leviers à actionner » sont divers. Le 12 mars, Les Rencontres de L’Hémicycle, pour leur 5e édition, se penchaient sur ce sujet politiquement sensible.

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Réduire d’ici 2027 le taux de chômage à 5% de la population active, soit le chiffre généralement considéré comme celui correspondant au « plein emploi » : c’était, à l’aube de son second quinquennat, l’une des principales ambitions d’Emmanuel Macron. Mais à trois ans de l’échéance, les résultats vont à contre-courant : 7,5% de la population active demeure sans emploi, selon les statistiques diffusées fin janvier par France Travail (ex-Pôle emploi), à cause du ralentissement de la croissance, qui a contribué au dernier trimestre 2023 à la hausse de 0,2 % du nombre de demandeurs sans aucune activité. C’est presque 2 points de plus que notre principal concurrent européen, l’Allemagne. En ce qui concerne le taux d’emploi, là aussi, la France est largement en dessous de son pays voisin : 68% contre 77%.

Premier levier dans la boîte à outils du gouvernement : l’assurance chômage. Dans une récente interview accordée au journal Le Monde, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, déclare vouloir reprendre la main sur le dossier. L’objectif : en diminuer la durée d’indemnisation (actuellement à dix-huit mois, l’une des plus longues d’Europe), qui selon le patron de Bercy « entretient un niveau de chômage à 7% comme niveau plus bas ». « À modèle social constant, on n’y arrivera pas », estime Bruno Le Maire. Une déclaration jugée « provocatrice » par Cyril Chabanier, le président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), à l’occasion de la 5e édition des Rencontres de L’Hémicycle avec The Tosca Loop, le 12 mars. Comme par la majorité des syndicalistes et des entreprises. Car pour le responsable syndical, ce sujet appartient aux « acteurs du paritarisme, aux organisations patronales et syndicales ».

Voilà qui ne va pas de soi pour le gouvernement et la majorité. « La situation de l’emploi, c’est l’État qui en est responsable », déclare Marc Ferracci, député de la 6e circonscription des Français de l’étranger et proche d’Emmanuel Macron. Le parlementaire préconise donc un contrôle partiel de l’assurance chômage, uniquement sur ses « grands principes », avec un « équilibre entre l’État, les partenaires sociaux et le Parlement » sur sa gestion. Si les acteurs sont réticents à une prise de contrôle de l’État sur l’assurance chômage, c’est parce qu’ils redoutent un « changement de philosophie », décrypte Jean-François Foucard, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC) emploi-formation. « L’assurance chômage a été créée pour que les personnes sans emploi bénéficient d’une meilleure indemnisation, afin de retrouver un travail de qualité par la suite. Si le gouvernement reprend la main dessus, cela aurait pour effet de pousser les gens plus rapidement dans l’emploi », explique-t-il. Et selon Cyril Chabanier, de la CFTC, « se précipiter dans n’importe quel emploi, dans n’importe quelles conditions » ne constitue pas forcément la solution.

Se pose alors la question de la « qualité du travail », un critère de plus en plus considéré par la population, et notamment pour les jeunes générations. Et, donc, un enjeu de taille lorsque le taux d’emploi des jeunes s’élève à 35% en France, contre 50% en Allemagne. Des chiffres qui ont toutefois progressé de 5,4 % entre 2019 et 2022, résultat de la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle continue, opérée en 2018. Repoussant l’âge limite d’entrée en alternance et réévaluant le salaire minimal, la « loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a démocratisé l’accès au monde professionnel pour les plus jeunes, tout en favorisant l’accès aux études supérieures pour les moins aisés d’entre eux.

Pour autant, plus de jeunes travailleurs diplômés signifient-ils plus d’emplois qualifiés ? Multiplication de cursus universitaires, création de centres de formations d’apprentis (CFA), écart entre les missions confiées et le « réel besoin » des entreprises… Pour Jean-François Foucard, le bilan est contrasté. Le cadre de la CFE-CGC pointe du doigt « l’effet pervers » de ce phénomène : « 42% des ouvriers ont un diplôme du supérieur. Ce n’est pas pour autant que nous aurons plus d’emplois qualifiés », argumente-t-il. Et de dénoncer une « privatisation du supérieur » et des entreprises qui abusent du recours à l’alternance, motivées par la rentabilité qu’offre celle-ci. 

Des diplômes qui ne sont donc pas toujours gages de qualité et de débouchés professionnels. Marc Ferracci, pour sa part, s’affirme favorable à une limitation de l’apprentissage aux bac+2 : « Avoir des bacs +4 ou +5 en apprentissage, c’est choquant, c’est coûteux et cela participe à la politique de sous-évaluation des diplômes », plaide-t-il, le diplôme du supérieur constituant déjà une « protection au chômage ». Reste à démontrer aux entreprises qu’à compétences égales, un diplôme a plus de valeur qu’une riche expérience professionnelle…

Même constat, et mêmes objectifs, du côté des personnes âgées. Selon Cyril Chabanier, le faible taux emploi des séniors représente l’un des principaux freins au plein emploi : « Une personne sur deux à la retraite ne travaille pas, alors que la moyenne européenne est à 37-38%. « On aurait dû commencer par instaurer une réforme des seniors », préconise-t-il en référence à l’impopulaire réforme des retraites, promulguée le 14 avril 2023. Avec sa mesure phare de recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, la loi qu’avait fait adopter le gouvernement d’Elisabeth Borne était, aux yeux de ce dernier, l’un des moyens pour avancer vers le plein emploi. Son efficacité n’est plus à prouver : « Nous avons remarqué une hausse du taux d’emploi des seniors après la réforme Woerth, en 2010 » souligne le député. Justement, des négociations sont d’ores et déjà en cours du côté des très petites entreprises (TPE) pour lever le « frein de l’emploi des seniors » pour les entreprises, lié au risque de l’« inaptitude professionnelle », explique Michel Picon, président de l’Union des entreprises de proximité (U2P). 

Pour le député Renaissance, le plein emploi ne pourra être atteint qu’à condition « d’actionner plusieurs leviers » : bien plus qu’un simple « indicatif statistique », c’est un « changement de société » vers lequel il faut tendre, selon lui. Un taux d’emploi suffisant est un indicateur de croissance, affirme-t-il : « Il y a un écart de PIB considérable entre les pays qui ont un fort taux d’emploi, et ceux qui possèdent un faible taux », explique le parlementaire.Car derrière l’objectif du plein emploi, ce sont les enjeux fondamentaux des prochaines décennies qui se dessinent : « il faut investir dans la transition écologique, dans la souveraineté alimentaire et industrielle, et parvenir à une autonomie stratégique et militaire », souligne Marc Ferracci. En somme, se rapprocher du plein emploi, c’est « investir dans l’avenir », diagnostique-t-il.

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