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Colloques et tables rondes

Les patrons français face au défi complexe de la réindustrialisation décarbonée 

Alors que des moyens colossaux sont déployés par le gouvernement pour accompagner la réindustrialisation de la France, quelles sont les stratégies adoptées par les entreprises françaises pour développer leur secteur industriel, tout en s’inscrivant dans une démarche écologique ? Quels en sont les freins ? Des dirigeants d’entreprises françaises se sont réunis autour d’un dîner pour en débattre.

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C’était l’un des objectifs prioritaires d’Emmanuel Macron, dès son arrivée à l’Élysée en 2017 : la réindustrialisation de la France. Depuis, d’importantes enveloppes ont été débloquées pour redonner compétitivité et souveraineté au pays. Le plan France 2030, d’un investissement de 54 milliards d’euros déployés sur cinq ans, met l’accent sur deux enjeux d’avenir : réindustrialiser et décarboner l’Hexagone.

Si les entreprises françaises affichent la même ambition, elles demeurent, au quotidien, confrontées à divers obstacles. Et ce, quel que soit le secteur auquel elles sont affiliées : pénurie d’emplois qualifiés, manque d’attractivité des secteurs industriels et écologiques, frein de l’acceptabilité citoyenne, impact économique des engagements RSE, rapport au temps… Pour construire la France « forte » de demain, entreprises et gouvernement doivent établir ensemble une feuille de route solide. C’est dans cette visée que le dîner-colloque organisé par Loxamsociété française et leader européen de la location de matériel professionnel, s’est déroulé, le 16 mai, dans ses locaux, à la Défense. 

Un sujet qui fait consensus

Le sujet de la réindustrialisation s’est progressivement imposé au sein de l’espace public. Selon une étude réalisée par Bpifrance Le Lab auprès de 5 000 personnes et 2828 dirigeants d’entreprises, et rendue publique le 15 mai, 82% des Français se disent favorables à la réindustrialisation de la France. Parallèlement, la majorité d’entre eux (56%) sont préoccupés par ses éventuels impacts négatifs. Cette dichotomie témoigne d’une « volonté commune et acquise pour la réindustrialisation, mais les efforts prêts à faire du côté de la population ne sont pas à la hauteur des ambitions », souligne Guillaume Mortelier, directeur exécutif en charge de l’accompagnement chez Bpifrance. Très engagée sur la réindustrialisation et la décarbonation, la banque publique d’investissement a notamment pour projet d’« injecter 35 milliards d’euros dans chacun de ces deux enjeux, d’ici 2028, ajoutés aux 20 milliards d’euros déjà déployés depuis 2020 dans le financement de projets d’énergie décarbonée », indique son directeur exécutif. Pour atteindre l’objectif des 12% de part d’industrie dans le PIB national, il faut actionner deux leviers, selon lui : celui de « l’attractivité pour de nouveaux projets industriels, comme le fait Choose France, et, surtout, le maintien et la croissance d’acteurs déjà existants, représentant 70% de la marche à franchir ».

Pour sa septième édition, qui s’est déroulée en mai, le sommet Choose France a affiché le « record » de 56 projets d’investissements pour un montant de 15 milliards d’euros. Depuis 2018, cette démarche, initiée par Emmanuel Macron qui accueille les dirigeants de grandes entreprises étrangères pour les convaincre d’investir en France, totalise 122 projets pour 31,2 milliards d’euros. Un investissement colossal, déployé en direction d’« entreprises plus vertueuses que celles d’il y a quarante ans, par le financement de l’innovation dans tous les domaines, exceptés ceux du capacitaire, du bâtimentaire et des infrastructures », détaille Bruno Bonnell, secrétaire général de France 2030, qui préfère au terme de réindustrialisation, celui de « néo-industrialisation ». 

Synerlab, leader européen du développement et de la fabrication dans le domaine pharmaceutique en Europe, et Artelia, groupe de conseil, d’ingénierie et de gestion de projet présent dans plus de 40 pays, s’inscrivent dans cette dynamique : « Nous avons choisi d’investir massivement dans la médecine de demain, c’est-à-dire, la médecine injectable et personnalisée, ainsi que l’oncologie », expose Alexandra Lecourbe, directrice site et développement de Synerlab. Un savoir-faire qui permet au laboratoire pharmaceutique d’être compétitif sur la scène internationale : « Nous avons créé 25 emplois de chercheurs en deux ans et nous prévoyons d’être une centaine sur le site d’Orléans », annonce-t-elle. Quant à Artelia, « ce sont plusieurs centainesd’ingénieurs qui accompagnent nos clients pharmaciens industriels dans le domaine des traitements injectables, ainsi que sur la production de principes actifs en France », indique Lionel Verot, directeur international d’Artelia. 

La diversité des enjeux 

Mais si l’État apporte une impulsion nécessaire, il n’en reste pas moins que la réindustrialisation se confronte à différentes problématiques. À commencer par celles de la compétitivité et des objectifs des Accords de Paris fixant la neutralité carbone d’ici 2050. Concepteur et fournisseur de machines, d’équipements de procédé et des lignes de production pour les plus grands industriels mondiaux, le groupe FIVES, œuvre pour une industrie vertueuse. Néanmoins, cet enjeu nécessite l’adoption de technologies nouvelles, et c’est l’une des difficultés à laquelle est confrontée le groupe : « Lorsque nous innovons sur des équipements, c’est plus facile, mais lorsqu’il s’agit de process industriels, c’est plus compliqué, car cela bouleverse des organisations ou des écosystèmes établis et demande une transformation profonde », explique Denis Mercier, directeur général adjoint du groupe FIVES. 

Pour s’inscrire dans une réindustrialisation décarbonée, encore faut-il que ce soit une demande des acheteurs : « Le client n’est pas favorable à ce que le matériel électrique ou hybride coûte plus cher », avance Olivier Grisez, directeur général Rental France de Loxam. Pour pallier le risque de déséquilibre du coût de revient du matériel, il faut « créer des mécanismes de compensation », explique Olivier Grisez, qui souligne également la nécessité de jouer sur « différents paramètres, tel que l’absence de pollution sonore provenant du matériel électrique, pour renforcer l’acceptabilité de ces solutions ». 

Dans la course à la compétitivité, outre le facteur prix, le facteur temps est décisif. « Les entreprises chinoises arrivent avec des produits très opérationnels et compétitifs, ce sont sensiblement les mêmes que l’on peut trouver en France, mais à des prix compétitifs et surtout disponibles immédiatement », explique Alice Hénault, directrice prospective et développement chez Loxam, leader européen et français de la location de matériel pour le BTP, l’industrie et l’événementiel. Pour accompagner la décarbonation des activités de ses clients, notamment dans les secteurs de l’énergie, du transport et du nucléaire, Loxam développe son parc de matériel à faibles émissions. Et, pour cela, « il faut aller vite », insiste Alice Hénault : « À l’heure actuelle, nous sommes obligés d’aller chercher des équipements au-delà des frontières européennes. Il faut, comme pour l’industrie automobile, ériger les conditions pour permettre aux entreprises françaises et européennes de développer rapidement une offre compétitive dans ce domaine ».

Même problème du côté du secteur des infrastructures. Ce que confirme Loïc Leuliette, directeur de la communication de Lafarge France, leader français des matériaux de construction. « Les opérations comme Choose France vont dans le bon sens, alors même que la décision d’investir, y compris pour décarboner, est plutôt hardie dans un contexte de marché de la construction très difficile », estime-t-il.

Autre problématique commune et identifiée par l’ensemble des dirigeants présents : celle de l’emploi. « Nous mettons beaucoup plus de temps à recruter, parce que nous ne trouvons pas les bons profils », explique Lionel Verot. Selon une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et de France Stratégie, 10 000 ingénieurs manquent à l’appel chaque année, tous secteurs confondus. Comme cause à cette pénurie, un manque d’attractivité des secteurs techniques et industriels : « les ingénieurs formés ont tendance à s’en détourner au profit d’enjeux qui ont plus de sens pour eux que la transition écologique », affirme Bénédicte Danis, directrice générale déléguée de SETEC Bâtiment. Donner ou redonner du sens à ces secteurs peut constituer une partie de la solution : « Nous avons tendance à raconter ce qu’on fait, mais nous oublions de préciser pourquoi on le fait », souligne un participant. Un problème ciblé par le gouvernement : « Nous avons investi deux milliards d’euros sur la formation dans les métiers d’ingénieurs, de maintenance et 7000 places ont été créées », détaille Bruno Bonnell. L’objectif est d’atteindre un million de personnes formées à ces technologies, d’ici 2030 : « Tout cela va prendre entre cinq et dix ans », annonce-t-il.

Refaire société

La question de la qualité de vie, aussi, pèse lourd dans la balance. Les Français y sont de plus en plus sensibles. « Les travailleurs veulent habiter au plus près de là où ils travaillent », note Olivier Grisez ; le sujet du logement passant par « des choix politiques », ajoute-t-il. « L’unicité entre le lieu de vie et le lieu de travail sont des enjeux déterminants », renchérit Emmanuel Cudry, CEO de Coffreo, une société qui accompagne les agences d’intérim et les organisations ayant recours aux contrats courts dans la digitalisation de leurs processus RH. Au-delà de l’économie, le défi de la réindustrialisation décarbonée est un projet de société.

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