Le groupe SEB est numéro un mondial dans le domaine du petit équipement domestique. Quelle est la vision de son président, Thierry de La Tour d’Artaise, sur la situation de l’industrie Made in France à la lueur de l’activité qu’il dirige.
Illustration : D.A
Comment voyez-vous la situation du groupe SEB et de l’industrie française en général ?
Thierry de La Tour d’Artaise Il suffit de regarder les chiffres, nous avons encore 14 sites industriels en France, et à peu près autant en Europe. Cela représente quatre sites supplémentaires en 5 ans dont 2 Entreprises du Patrimoine Vivant. Nous sommes donc restés des industriels européens et nous y croyons fort ! Nous nous battons tous les jours pour garder tous nos sites. Et même au-delà ! Quand nous avons repris Moulinex, nous considérions que nous avions le devoir de conserver les salariés. En revanche, dans notre contexte international, il faut assumer de dire que la recherche que nous faisons en France est financée aussi par les cafetières filtre que nous fabriquons dans notre usine chinoise et que l’on vend ensuite sur le marché français – tout en s’assurant de la qualité. Il faut donc se battre à tout prix et être imaginatif, pour garder l’emploi industriel sur notre sol, car un pays ne peut pas se passer d’industrie. Il faut également aider les entreprises à faire des profits pour investir et développer dans des innovations complexes, comme les friteuses sans huile que nous sommes les premiers à avoir lancées avec succès. Aux États-Unis, au Brésil, en Corée du Sud ou encore au Royaume-Uni, les ménages ont massivement adopté ce produit révolutionnaire made in France.
Plus globalement, quels sont selon vous nos atouts ?
Thierry de La Tour d’Artaise La France dispose d’une culture industrielle très forte et depuis longtemps. Un groupe comme le nôtre a vu le jour en 1857 ! Nous avons un savoir-faire local reconnu et respecté, servi par d’extraordinaires ouvriers attachés aux sites, dans lesquels certains travaillent depuis plusieurs générations, des ingénieurs formés dans des écoles et universités d’élite et soutenus par des techniciens intermédiaires indispensables et engagés dans tous les métiers historiques de nos chaînes de production. La France sait également faire preuve d’un sens aigu de l’innovation. Ce sont des atouts qu’il faut valoriser et encourager en créant les conditions d’épanouissement de nos forces vives qui souhaitent s’investir. Des forces qui ne demandent qu’à s’engager pour la compétitivité de la France, l’emploi et son rayonnement dans le monde. Ensuite, nous avons une vraie responsabilité sur la question du Made in France. Vis-à-vis de nos consommateurs, comme vis-à-vis du reste du paysage industriel français. Notre histoire est française et nous nous attachons, de notre R&D à notre production, à cette étiquette Made In France. Nous avons une histoire émotionnelle avec les foyers français, avec les territoires et avec le tissu industriel en France. Notre histoire est aussi celle de centaines de PME et de grands groupes en France. Notre histoire, c’est celle du tissu industriel local, de milliers de salariés… Mais aussi celle du rayonnement du savoir-faire français dans le monde. Parce que nous sommes attachés au Made in France, nous devons aussi être capables de percevoir que certains envient nos technologies, nos savoir-faire, et sont prêts à tout pour abîmer le tissu industriel français… Être Made in France c’est ainsi savoir évoluer, s’adapter mais aussi toujours protéger nos valeurs, nos consommateurs, nos salariés. C’est une responsabilité et une confiance partagées ! Enfin, la France a une culture très forte de dialogue social, qui embrasse pleinement nos valeurs. Et c’est un atout. C’est parce que nous sommes attachés au dialogue social que lorsque l’urgence l’exige, nous nous retrouvons tous ensemble. Ainsi, c’est avec le soutien notamment de Frédéric Souillot, le secrétaire général de Force Ouvrière, et sa mobilisation, que nous avons pu sauver des emplois dans les moments difficiles.
Vous avez identifié des freins, notamment liés à une réglementation trop contraignante. Pourtant, il faut bien des règles du jeu sur un marché ?
Thierry de La Tour d’Artaise Bien sûr, qu’il faut des normes ! Mais au moment où nous souffrons d’un mouvement de désindustrialisation depuis quelques décennies, il faut donner de l’air à nos entreprises. Évidemment, la concurrence forte de certaines zones économiques nous atteint. On pense forcément à l’Asie, mais c’est loin d’être le seul continent à nous faire de l’ombre. Nous pouvons en revanche jouer sur des facteurs propres à la France comme justement la réglementation, qui complexifie trop souvent la situation. L’excès de normes représente un sujet qu’il faut traiter rapidement afin que les entreprises ne soient pas submergées par celles-ci. Je le répète, il faut des règles du jeu mais qui soient compatibles avec le contexte international et qui ne saturent pas la gestion quotidienne de contraintes difficiles à atteindre. Surtout dans un contexte dans lequel bon nombre de pays ne jouent pas avec les mêmes règles et que la spécialité française est plutôt à la « surtransposition », manquant parfois un peu d’anticipation… La norme doit protéger, mais pas entraver la compétitivité.
Prenons un exemple concret. Vous intégrez de plus en plus de plastique recyclé dans vos produits. Comment intégrez-vous la cause environnementale ?
Thierry de La Tour d’Artaise Nous voyons tout ce qui est développement durable ou économie circulaire comme une chance extraordinaire. Il faut prendre son temps, ne pas croire que ça se fait du jour au lendemain, s’attendre à un surcoût au début, évidemment. Mais proposer une vision de long terme permet d’ouvrir des possibilités de développement gigantesques. Chez nous, la réparabilité et la recyclabilité sont fondamentales depuis vingt-cinq ans. Sur ce dernier point, le consommateur évolue rapidement. Il y a plus de dix ans, nous avons sorti les premières poêles en aluminium recyclé, avec un succès assez mitigé car l’usager hésitait en raison des matériaux recyclés. Et puis ça a démarré, lentement, avec un prix élevé car la production coûtait cher. Aujourd’hui, ces gammes coûtent moins cher en production et le consommateur les plébiscite à 60 %.
Autre exemple, la réparabilité, comment s’adapter ?
Thierry de La Tour d’Artaise Je ne crois pas trop à l’obsolescence programmée des produits. D’ailleurs, le consommateur préfère aujourd’hui réparer que remplacer un produit défaillant. Ce qui tombe bien car au sein du groupe, nous avons toujours réparé. Pour une raison très simple : à une époque, toute l’industrie européenne a délocalisé sa production dans des zones à bas coûts tandis que l’industrie américaine migrait vers le Mexique, puis en Chine, qui est devenue l’usine du monde. De ce fait, nos concurrents ne pouvaient plus réparer les produits, car ils n’avaient ni usine en Europe, ni pièces détachées. Jusqu’au jour où le consommateur s’est dit « c’est un peu stupide, de jeter un fer à repasser simplement parce que le thermostat ne marche plus », et ça a été une déferlante ! Aujourd’hui, 70 % des consommateurs refusent qu’on remplace un appareil, simplement parce qu’il a un petit problème. À cet égard, la création d’un indice de durabilité qui se substitue à l’indice de réparabilité est une bonne initiative de la puissance publique. Nous avons une société dédiée spécifiquement aux pièces détachées car c’est dans notre philosophie, dans nos valeurs, de réparer plutôt que de jeter ou de remplacer. Depuis 15 ans c’est presque 5 millions de pièces de rechange qui ont réparé les produits de nos consommateurs. Notre engagement : réparer mais au juste prix.
Des députés ont essayé d’interdire tous les PFAS dont le PTFE, pourtant indispensables dans votre industrie. Comment concilier production, performance et protection du consommateur ?
Thierry de La Tour d’Artaise Premier rappel, le PTFE est sûr, reconnu par toutes les agences de façon constante de 1970 à 2024. ?Nous n’avons jamais opposé la santé à l’économie. Les revêtements en PTFE, utilisés pour la fabrication des poêles et des casseroles, sont plus performants que d’autres substituts, plus durables et meilleurs sur le plan écologique du fait de leur durée de vie. Entraver la production avec une loi de ce type aurait des conséquences dramatiques. Une réglementation trop hâtive provoquerait à la fois une catastrophe économique et une casse sociale indéniable. Ce sujet a fait l’objet de beaucoup de fake news, d’informations non vérifiées qui, nous le craignons, ont influencé les rédacteurs de cette loi et a créé de la panique chez les consommateurs. Nous avons toujours travaillé pour améliorer nos process de production et trouver des solutions alternatives quand cela était nécessaire. Ce que ne font pas forcément nos concurrents, pour lesquels la législation est beaucoup moins rigide et que les polémiques arrangent…