Dans un monde où la compétitivité internationale s’intensifie, l’industrie textile française se trouve confrontée à des défis économiques croissants, exacerbés par une réglementation de plus en plus stricte. Si cette évolution est nécessaire du point de vue écologique et sanitaire, elle nécessite également une approche cohérente et stable de la part des pouvoirs publics, tant au niveau national qu’européen. Olivier Ducatillion, président de l’Union des Industries Textiles (UIT) et dirigeant de Lemaître-Demeestere, tisseur de lin français, partage sa vision sur les principaux défis de la filière.

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La réindustrialisation ne pourra se faire sans elle. En France, l’industrie textile représente 13,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires et génère 62 500 emplois. En 2025, elle fait face à un déficit commercial persistant : bien que les exportations textiles aient atteint 9,4 milliards d’euros, elles ne suffisent pas à compenser les importations, qui s’élèvent à 16,9 milliards d’euros.
La France aurait tout à gagner à soutenir sa filière textile : chaque kilogramme de textile consommé génère 54 kg d’équivalent CO2, contre seulement 27,7 kg d’équivalent CO2 pour un kilogramme de textile produit en France. Pour préserver son économie et poursuivre sa transformation vers une industrie plus verte et plus saine, la filière textile « a besoin d’une seule chose : la compétitivité », souligne Olivier Ducatillion, président de l’Union des Industries Textiles (UIT) et dirigeant de Lemaître-Demeestere, tisseur de lin français. Pour ce faire, la France doit activer plusieurs leviers. À commencer par celui de l’action publique, dans plusieurs directions. En particulier une législation cohérente et adaptée et une sensibilisation de la société au Made in France.
Temporalités différentes
Sur le premier point, l’exemple des per- et polyfluoroalkylées (PFAS ,ou polluants éternels) est particulièrement éloquent. « L’utilisation des PFAS dans l’industrie textile se divise en deux catégories : celles utilisées pour la protection individuelle, la sécurité et la défense, et celles destinées au domaine vestimentaire », explique Olivier Ducatillion. En ce qui concerne la première catégorie, l’industrie a réussi à obtenir un délai supplémentaire, repoussant l’interdiction de l’usage des PFAS à 2030. En revanche, il n’en va pas de même pour la seconde catégorie, celle des produits vestimentaires. Le 20 février dernier, l’Assemblée nationale a voté une loi visant à réduire l’usage de ces substances dans plusieurs produits, notamment les cosmétiques, les vêtements et les chaussures. À partir du premier janvier 2026, il sera interdit de fabriquer, importer, exporter ou mettre sur le marché des produits contenant des PFAS.
Sur le principe, l’industrie textile n’est pas opposée à la restriction des PFAS. Elle a même déjà commencé à travailler sur la recherche de solutions alternatives, notamment au travers du projet DEPERFLEX II. Mené de 2018 à 2023 avec un budget de 3,09 millions d’euros, son objectif est de trouver des alternatives industrielles aux résines perfluorées (C6 et C8), permettant de répondre aux cahiers des charges des différents marchés. En vain, pour l’heure.
Le Made In France, un enjeu sociétal
Pour réussir sa transformation, encore faut-il que l’industrie textile en ait les moyens. Et qu’elle ait le temps. Sur ce dernier point, Olivier Ducatillion alerte : « Il y a une différence de temporalité entre la France et l’Europe ». Si la France prend de l’avance en matière sanitaire et environnementale, l’Europe n’avance pas au même rythme : « Une entreprise française peut parfaitement développer un entrepôt en Belgique ou en Italie, pour stocker ses produits et les écouler », ironise le président. Éviter les distorsions de concurrence est également une urgence : « Il faut être conscients des dangers, mais ne nous appliquons pas des normes que nous n’imposons pas aux autres », plaide-t-il.
Pour soutenir l’industrie textile, il est essentiel d’encourager la population à acheter français, sans pour autant la culpabiliser. Cela passe par une approche pédagogique : « Il faut expliquer aux Français que, lorsqu’on achète un produit à cinq euros, il ne peut pas avoir été fabriqué dans des conditions respectueuses des salariés et de l’environnement », souligne Olivier Ducatillion. Aux pouvoirs publics, là encore, de se saisir de ce sujet : « Nous incitons le gouvernement à mettre en place une campagne sur la production nationale, sur ses bienfaits, et ses conséquences », encourage-t-il. Autant de défis à relever pour préserver l’avenir de cette filière en France.