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Désindustrialisation : des solutions face à l’urgence

Le Palais du Luxembourg accueillait, mardi 30 septembre, un colloque consacré au phénomène. Un évènement qui a permis de plancher sur les fragilités du tissu productif français et sur les pistes concrètes pour reconstruire une stratégie industrielle compatible avec les exigences environnementales.

Marc Ferracci(28)

Il y a urgence. Alors que la France a perdu près de deux millions d’emplois industriels en trente ans, la nécessité d’agir s’impose. « Nous avons besoin d’agir collectivement sur ces questions industrielles », rappelle Loïc Hervé, vice-président (Union Centriste) du Sénat, en ouverture du colloque « Désindustrialisation : comprendre les menaces, bâtir les solutions », organisé au Sénat mardi 30 septembre, parrainé par Jean-Baptiste Blanc, sénateur du Vaucluse (Les Républicains) et animé par Éric Revel, directeur de la publication de L’Hémicycle. Loïc Hervé souligne que le projet de loi de finances (PLF) 2026, qui sera débattu dans les prochaines semaines, devra intégrer cette priorité : « Notre majorité va se nourrir de ce débat pour nous permettre de garder nos emplois industriels en France ».

Jean-Baptiste Blanc brosse un tableau sans complaisance de la situation : « L’industrie représente aujourd’hui moins de 10 % de notre économie, alors que près de la moitié de l’économie mondiale est entre les mains de la Chine. » Un déséquilibre alarmant, aggravé par un empilement normatif : « On vous assaille de normes très complexes à comprendre », regrette-t-il, déplorant également le manque de vocations industrielles ainsi qu’une orientation excessive vers un modèle centré sur les start-up, « sans ancrage territorial suffisant ».

« La balance commerciale française est déficitaire depuis de nombreuses années. Elle reposait sur trois piliers : l’agriculture, l’aéronautique et le luxe. Pour la première fois depuis 50 ans, la balance agroalimentaire va être déficitaire », appuie Eric Revel. « Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus aujourd’hui ? L’hémorragie industrielle ou la nécessité de mettre en place une loi qui permettrait de réindustrialiser le pays et les territoires ? », questionne-t-il. Cette interrogation a structuré l’ensemble des échanges. Avec une conviction partagée : la réindustrialisation de la France n’aura pas lieu sans une réconciliation entre économie et écologie, ni sans un effort collectif impliquant l’État, les entreprises, les syndicats et les territoires.

Écologie non punitive

Dans un climat d’inflation normative et de défiance généralisée, Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), souligne la montée d’un rejet citoyen face aux « écologismes punitifs » (1). Selon lui, une large partie de l’opinion accepte la nécessité d’une transition écologique, mais refuse qu’elle se fasse « contre l’activité économique et contre l’emploi ». Il appelle à bâtir une écologie ambitieuse, mais compatible avec le progrès : « Les Français reprochent à l’écologisme un excès de normes qui empiètent sur les libertés de chacun, une emprise sur l’existence. Les forces politiques doivent bâtir un compromis entre écologie et prospérité qui permette à une société libre de financer le style de vie auquel chacun aspire. »

Laure Salvaing, directrice générale de Verian, conforte ce constat. D’après l’analyse « Contre l’écologisme réglementaire, bureaucratique et décroissant, l’aspiration à une écologie positive », 66 % des Français pensent qu’il y a trop de normes environnementales pour les entreprises et 67 % estiment qu’elles fragilisent la compétitivité de l’industrie française. Plus inquiétant encore : plus de la moitié des Français interrogés estiment que les associations environnementales en France sont un contre-pouvoir bloquant (51 %), plutôt radical (55 %) et motivé par leur agenda idéologique (60 %). Selon la directrice générale de Verian, les Français aspirent à une politique environnementale réaliste, positive et non punitive, qui renoue avec la croissance : « La société française est prête pour une écologie réaliste, inclusive et concertée, qui engage l’industrie », insiste-t-elle encore. Et de rappeler que près de 9 Français sur 10 jugent le dialogue entre écologie et industrie insuffisant. 

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Cartographier les vulnérabilités

Face à la complexité des causes de la désindustrialisation, Arnaud de Morgny, directeur adjoint du Centre de Recherche Appliquée de l’École de Guerre Économique, développe, à l’aide du rapport « Anticiper la désindustrialisation : un indice pour anticiper la désindustrialisation et réarmer l’intelligence économique territoriale » (2), un indice multicritère de risque de désindustrialisation des grandes entreprises françaises. Un indice qui facilite un « accès à l’information pertinente, qui permet d’anticiper un certain nombre d’évolutions, et pas seulement de constater la désindustrialisation », explique-t-il.

Évalué sur une échelle de 1 à 5 — le niveau 5 correspondant au risque maximal — cet indice repose sur neuf axes d’analyse et vingt-cinq critères, parmi lesquels : le positionnement stratégique de l’entreprise, sa vulnérabilité technologique, sa situation financière, l’environnement politique et réglementaire, ou encore son ancrage territorial.

Les premiers résultats de cet outil sont préoccupants : six grandes entreprises françaises affichent un score de risque moyen pondéré supérieur à 2,5. C’est notamment le cas d’ArcelorMittal (3,5), Renault (3,5), Valeo (3,3), Arkema (3), Michelin (2,8) et Groupe Seb (2,7). Ces résultats mettent en lumière la nécessité d’une action stratégique coordonnée pour anticiper les menaces qui pèsent sur notre tissu industriel.

Arnaud de Morgny, directeur adjoint du Centre de Recherche Appliquée de l’École de Guerre Économique, lors du colloque « Désindustrialisation : comprendre les menaces, bâtir les solutions », au Sénat, le mardi 30 septembre 2025.

Sortir du slogan

Frédéric Souillot, secrétaire général de Force Ouvrière, relaie les inquiétudes croissantes des salariés de l’industrie, premières victimes d’une désindustrialisation silencieuse, mais bien réelle. Face à ce constat alarmant, il appelle à « passer aux actes » et à une réponse sociale ambitieuse, à la hauteur des défis actuels. Pour lui, l’urgence est claire : il faut « repousser la tentation de la sur-normation », qu’il juge directement responsable de l’affaiblissement de l’appareil productif national.

« On veut être les premiers de la classe, mais on ne pèse que 0,3 % en termes de quota de pollution mondiale. Il faut arrêter de rajouter du mal au mal », martèle-t-il, dénonçant l’accumulation de normes environnementales excessives qui, selon lui, pénalisent la compétitivité française, sans réel impact global sur le climat. À l’appui de son propos, il cite un exemple concret : « Si on avait appliqué cette sur-norme française, on aurait perdu 10 000 emplois directs » (3), alerte-t-il à propos de Tefal, marque emblématique du Groupe Seb.

Pour le secrétaire général de FO, il est temps que l’État réaffirme sa priorité industrielle. Il plaide ainsi pour la création d’un ministère de plein exercice spécifiquement dédié à la réindustrialisation, capable de porter une vision stratégique sur le long terme et de défendre les intérêts productifs de la nation.

À l’occasion de son numéro d’automne, L’Hémicycle consacre un dossier spécial à la désindustrialisation de la France. Ce dernier croise les analyses de cinq think tanks de référence et les points de vue d’industriels engagés, pour éclairer les causes d’un déclin amorcé depuis plusieurs décennies. Et surtout, les leviers pour une réindustrialisation durable.

((1) « Contre l’écologisme réglementaire, bureaucratique et décroissant, l’aspiration à une écologie positive ». Fondapol et Verian, 2025. https://www.fondapol.org/app/uploads/2025/08/dossier-ecologie_2025-08-27.pdf

(2) « Anticiper la désindustrialisation : un indice pour anticiper la désindustrialisation et réarmer l’intelligence économique territoriale ». École de Guerre Économique, juillet 2025. https://www.portail-ie.fr/univers/2025/rapport-anticiper-la-desindustrialisation-un-indice-pour-anticiper-la-desindustrialisation-et-rearmer-lintelligence-economique-territoriale/

 (3) Le Parlement a adopté, le 20 février 2025, une loi interdisant, à partir du 1er janvier 2026 la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de cosmétiques, farts, vêtements, chaussures et leurs imperméabilisants, contenant des polluants éternels (PFAS).

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