Contrairement aux apparences, la campagne des législatives n’a pas eu lieu. Du moins la nécessaire confrontation des projets et des points de vue qui aurait dû accompagner ces élections anticipées. Elle devra pourtant se faire, coûte que coûte.
Illustration : IStock
Comme devant une ville assiégée, le roulement de tambour annonce la reddition. C’est ce bruit angoissant des lendemains sombres qui emplit tout l’espace. La nouvelle séquence qui s’est ouverte au lendemain des législatives anticipéesplonge la France dans un malaise collectif. Les Jeux de Paris sauront-ils l’en distraire ? La question se pose, qui n’est pas sans intérêt. Mais s’en remettre à cette seule possibilité est dangereux. En effet, réduire la situation actuelle à la seule secousse liée à la dissolution ne serait pas juste. Celle-ci succède à unchapelet de crises qui, depuis plus de dix ans, viennent ronger le pacte républicain et abîmer le tissu social du pays. Sans en faire l’historiographie, il ne faut pas être grand clerc pour en faire le constat.
Mais de quelle capitulation s’agit-il, au juste ? Probablement celle de la pensée. Pas de la capacité intellectuelle à réfléchir sur nous même, mais de la pensée politique, qui doit insuffler l’élan dont une société a besoin pour grandir, se fortifier et accepter l’avenir sans crainte. A force de voter contre, les citoyens que nous sommes se sont perdus dans une Histoire qui ne raconte plus rien. Des bribes de récit apparaissent et disparaissent au gré des modes et des accélérations du tempo médiatique… sans écho, sans adhésion, sans projet. Face à ce que Simone Weil décrit, à son retour de Berlin, dans les années 1930,comme l’impossibilité de « former une pensée d’avenir », demain devient précipice au lieu d’être promesse.
Faire face, en retrouvant l’espérance d’un destin commun, devient plus que jamais une question d’hygiène mentale et une nécessité pour tout le corps social du pays. La société française doit redevenir ce champ, cet espace de tensions duquel doivent jaillir des lignes de partage. Il faut retrouver la jubilation dudésaccord pour frotter les idées les unes aux autres, les comparer, sans anathèmeet sans préjugés de classe, afin de définir ce qui est réellement important. La délibération législative, dont on sait qu’elle sera empêchée par cette tripartition du paysage politique qui a résulté de la dissolution, doit être précédée par ce temps fort du débat.
Les partis politiques du vieux monde, qu’on nous annonçait moribonds, ont une responsabilité essentielle et renouvelée : vivifier le débat public en proposant une méthode, des priorités d’action, un mécanisme de décision publique fondé sur un pacte législatif et une dialectique sérieuse. C’est à ce prix qu’on réintroduira un principe d’ordre et de classement dans le concert des opinions, remède indispensable pour soigner les doutes mortifères qui traversent la société française et retrouver un chemin de cohérence.
Finalement, cette campagne qui n’a pas eu lieu, empêchée par « une grenade dégoupillée », doit se faire à rebours, coûte que coûte. La démocratie en a besoin pour se nourrir du débat d’idées, mais plus encore de la politisation de ce débat, c’est-à-dire de l’engagement des citoyens à discuter ensemble, de la pertinencedes propositions faites pour en juger de façon active.
Si l’on veut que le bruit sourd du roulement de tambour cesse, il convient que la politique réinvestisse la place, et que chacun puisse prendre partindividuellement à cette « chamade ». Non pour redouter la fin, mais au contraire pour faire à nouveau battre le cœur de notre démocratie et du pays que nous aimons.