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Marc Ferracci : « Nous devons avoir une politique industrielle moins naïve »

Croissance, chômage, compétitivité des entreprises, transition énergétique, politique industrielle, apprentissage …. Marc Ferracci, ministre de l’Industrie et de l’Énergie, était l’invité du Club de L’Hémicycle, ce vendredi 14 février. Une émission animée par Eric Revel.

Marc Ferracci(1)

En France, bien que le Produit Intérieur Brut ait diminué de 0,1% au quatrième trimestre 2024, le taux d’emploi demeure stable. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Le marché du travail continue de créer des emplois, ce qui contribue à une légère baisse du chômage. Les derniers chiffres du chômage, de l’Organisation Internationale du Travail, m’ont d’ailleurs surpris, avec une quasi-stagnation, voire une baisse. Cependant, les difficultés de recrutement restent vives, notamment dans les secteurs industriels. La croissance ralentit pour plusieurs raisons, dont les difficultés économiques de l’Allemagne, notre principal partenaire commercial. La récession allemande, qui dure maintenant, a des répercussions immédiates sur les entreprises françaises, notamment dans les régions transfrontalières. Nos chaînes de valeur étant très interconnectées, une crise chez nos voisins a un impact direct sur l’emploi en France. Cela dit, malgré ce contexte difficile, nous avons des fondamentaux solides, ce qui explique que l’emploi ne se dégrade pas massivement. Les chiffres du marché du travail en France surprennent souvent, car les réformes menées ces dernières années, notamment en matière de marché du travail et de fiscalité, ont renforcé la stabilité. La politique de l’offre et la stabilité fiscale ont contribué à la création d’emplois et à la préservation de ceux qui existent, ce qui reste un atout malgré la conjoncture.

De grands patrons français, comme ceux de Michelin, LVMH ou Dassault Aviation, ont récemment pris la parole pour dénoncer la taxation accrue des grandes entreprises prévue dans le budget 2025, affirmant que la situation ne peut plus continuer ainsi. En tant que ministre de l’Industrie et de l’Énergie, avez-vous été surpris par ces déclarations ?

Je n’ai pas forcément été surpris, car je discute régulièrement avec divers acteurs et représentants de petites entreprises ou de grands groupes. Globalement, il y a une inquiétude partagée, en particulier à cause d’un environnement international de plus en plus concurrentiel, avec des pays comme la Chine, qui mènent une concurrence déloyale, surtout dans des secteurs comme l’automobile, la chimie et l’électronique. Ce phénomène s’étend désormais à l’aéronautique. Cependant, cette concurrence ne se limite pas à des défis commerciaux, mais aussi à une politique de subventions massives, en particulier dans les industries liées à la transition énergétique, comme les batteries et les véhicules électriques. Cela a poussé la Commission européenne à augmenter les droits de douane sur les véhicules chinois, après avoir constaté que la chaîne de valeur, de l’extraction du lithium jusqu’au fret maritime, était subventionnée de manière systématique.

Un autre facteur qui complique la situation est l’instabilité politique en France, qui a commencé avec la dissolution et a été exacerbée par la censure du gouvernement Barnier, suspendant des décisions importantes, notamment sur le budget. Cette instabilité a freiné certains investissements nécessaires. Enfin, les efforts demandés aux entreprises, notamment à travers la surtaxe sur les sociétés, ont ajouté une pression supplémentaire. Ces mesures ont été difficiles à digérer pour beaucoup de secteurs, en particulier ceux déjà fragilisés par la conjoncture. Et puis, il nous faut nous attaquer maintenant, et de manière extrêmement volontaire, à la complexité qui résulte de normes françaises et européennes.

Les chefs d’entreprise sont préoccupés, car, en règle générale, lorsqu’un impôt est instauré en France, il tend à perdurer plus longtemps que prévu…

Certains chefs d’entreprise ne croient pas à l’idée que la surtaxe prévue dans ce budget puisse être ponctuelle, et ne durer qu’un an. Je leur dis qu’en tant que ministre de l’Industrie – et je pense que nous sommes tout à fait alignés avec Éric Lombard -, il en va de ma crédibilité. Je le dis de manière publique : je ferai mes meilleurs efforts pour que cet engagement soit ferme et tenu l’année prochaine.

Que diriez-vous aux chefs d’entreprise étrangers intéressés par un investissement en France, mais qui hésitent en raison de l’instabilité politique du pays ?

Nous avons beaucoup d’entreprises étrangères dans des secteurs innovants comme ceux de la santé, ou de la haute technologie qui se posent la question d’investir en France. D’abord, c’est parce qu’ils reconnaissent que la France a fait de gros progrès en termes d’attractivité ces dernières années. Je veux le dire de manière très claire, les difficultés du moment n’effacent pas tous les progrès qui ont été faits en termes de coût du travail et en termes de stabilité fiscale. Pour les investissements étrangers, il y a une concurrence qui s’exerce entre les pays. La France reste attractive, il ne faut rien lâcher et ne surtout pas changer le cap qui a été choisi ces dernières années.

Quels sont les facteurs d’investissements étrangers ?

Le Président de la République a annoncé lors du Sommet sur l’Intelligence artificielle (IA), organisé à Paris les 10 et 11 février derniers, des investissements privés français et étrangers autour de l’Intelligence artificielle, à hauteur de 110 milliards d’euros. Pourquoi ? Parce que la France a des atouts intrinsèques qui tiennent à la disponibilité du foncier, à une énergie peu chère et décarbonée, et à une connectivité extrêmement forte : la France a un niveau de couverture de la fibre partout sur son territoire supérieur à celui de tous les autres pays européens. Il faut que les efforts financiers et fiscaux que nous demandons aux entreprises soient stables. La Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises a diminué en 2021, je ferai mes meilleurs efforts pour obtenir des arbitrages à ce sujet.

Ces investissements visent principalement à financer des data centers (centres de données), qui sont très énergivores…

Les data centers consomment beaucoup moins d’énergie que ne vont en consommer ceux qui vont faire tourner des algorithmes d’Intelligence artificielle : il s’agit d’une consommation d’électricité divisée par six ou sept. Nous avons besoin de data centers en France, parce que cela donne de la sécurité aux entreprises, sur la manière dont sont traitées, conservées et stockées leurs données. Et cette sécurité va les encourager à prendre le versant de l’IA, si on les y accompagne. C’est une immense opportunité en termes de gains de productivité pour l’économie française !

Et puis, nous avons une boussole très claire : c’est le discours de Belfort. Nous avons besoin d’un mix énergétique qui soit équilibré, et de construire des réacteurs nucléaires. Les deux sont absolument nécessaires. Les nouveaux réacteurs ne seront opérationnels que d’ici plusieurs décennies. Dans l’intervalle, les énergies renouvelables sont un très bon relais : le coût de production du mégawatt issu de l’éolien et du photovoltaïque a tendance à baisser. Aujourd’hui, nous avons un mix énergétique qui nous permet d’assumer une transition vers le nucléaire dans les prochaines années.  

Un autre sujet : celui les normes, qui peuvent parfois nuire à la compétitivité des entreprises françaises…

Dans les prochaines semaines, nous allons nous pencher sur un projet de loi de simplification de la vie économique, dans lequel nous allons insérer un certain nombre de mesures de simplification, qui vont directement concerner l’industrie, de niveau législatif et de niveau réglementaire. Mais, je ne vais pas me mettre à front renversé par rapport à l’objectif de défense de l’environnement. Il faut trouver des souplesses.

Et au niveau européen ?

À la fin du mois de février, la Commission européenne va présenter le Clean Industrial Act, un plan pour une politique industrielle propre, et son plan de simplification de l’ensemble des réglementations européennes. C’est une ambition très forte sur ces deux volets. Nous avons aussi besoin d’une politique industrielle moins naïve, qui continue d’investir dans l’innovation, dans le numérique, dans la décarbonation. Lorsque les constructeurs chinois bénéficient de subventions et de dumpings, il faut être beaucoup plus réactifs, et faire en sorte que la taxation carbone aux frontières, qui va entrer en vigueur au premier janvier 2026, pénalise véritablement ceux qui ne jouent pas le jeu de la décarbonation de leurs productions.

Le Projet de Loi de Finances pour 2025, vise à économiser 30 milliards d’euros sur les dépenses publiques, dont MaPrimeRénov’ (aide de l’État pour la rénovation énergétique des logements) fait partie …

Aujourd’hui, nous avons un budget qui demande beaucoup d’efforts. J’en ai été témoin, puisque j’ai défendu en tant que ministre, des baisses sur le budget de l’énergie, sur le chèque énergie, sur MaPrimeRenov’, sur des mesures qui sont parfois difficiles à assumer. Avec l’espoir que cela aura peu d’impact sur les ménages les plus modestes, parce que les choses vont bouger dans les prochains mois…  Ce sont des efforts importants que nous faisons, qui sont destinés à redresser nos finances publiques, avec l’objectif des 3% de déficit public en 2029. Le cap ne doit pas changer. En revanche, nous devons accélérer la simplification au niveau français et au niveau européen.

Le gouvernement a pris un décret réduisant le montant des aides à l’embauche d’apprentis. Ne craignez-vous pas que cela ait un impact négatif sur le taux de chômage ?

En France, l’apprentissage bénéficie d’un budget d’environ 20 milliards d’euros par an, dont cinq milliards sont consacrés aux aides à l’embauche des apprentis en 2024. Ces aides ont été introduites en 2020 pendant la crise COVID pour éviter l’effondrement du système d’apprentissage. À l’origine, elles étaient de 8 000 € pour un apprenti majeur et de 5 000 € pour un mineur. Actuellement, elles sont de 6 000 € pour tous les apprentis la première année. Si ces aides ont accéléré l’augmentation du nombre d’apprentis, elles étaient censées être temporaires. L’objectif à long terme est de maintenir un système d’apprentissage qui ne repose pas uniquement sur des aides massives.

Si l’on regarde des pays comme la Suisse, le système d’apprentissage fonctionne avec moins de fonds publics tout en restant très attractif et performant. Il est donc possible de créer un système d’apprentissage vertueux sans un financement aussi élevé. De plus, ces aides bénéficient principalement aux établissements d’enseignement supérieur et aux entreprises qui recrutent des apprentis dans ce secteur. Cependant, lorsque les dépenses publiques sont limitées, il est plus pertinent de cibler les bas niveaux de qualification, parce que c’est beaucoup plus efficace pour les jeunes et pour la collectivité.

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