Entre dénonciations politiques, alertes médiatiques et appels au boycott, la fast fashion est devenue un sujet brûlant. Mais derrière la polémique, les chiffres racontent une autre réalité : les Français continuent massivement d’acheter. Cette étude révèle le grand écart entre la conscience citoyenne affichée et les comportements de consommation réels.
Illustratin : Pixabay
Enquêtes, ventes mirobolantes, questions écologiques … Jamais la « fast fashion » n’a été autant pointée du doigt. Pourtant, dans les faits, elle continue d’occuper une place centrale dans les achats. 70 % des Français déclarent acheter des marques de fast fashion, et tous les répondants ont acheté au moins une fois chez Zara, H&M, Shein, Primark, Bershka, Temu ou Asos au cours des 12 derniers mois.
Toutes les catégories de Français concernées
La pratique traverse toutes les catégories sociales : 88 % des 18–35 ans, 78 % des femmes, 75 % des foyers gagnant plus de 2 500 € mensuels… Pourquoi cet ancrage ? Parce que les critères décisifs sont clairs : le style (jusqu’à 40 %), le prix (31 %) et la qualité perçue (24 %). L’origine de fabrication, les conditions de travail ou l’impact environnemental ne pèsent que 2 à 7 % dans la décision d’achat. 80 % des Français affirment que l’origine et les conditions de fabrication ne constituent pas un critère d’achat décisif. Et si un vêtement plaît même s’il est issu de la fast fashion, 44 % l’achètent sans hésiter et 31 % hésitent mais finissent par acheter. Autrement dit : seuls 24 % renoncent.
L’impact marginal des « scandales »
Le paradoxe est encore plus frappant chez les consommateurs qui se disent soucieux d’éthique : parmi ceux qui jugent l’origine et les conditions de fabrication “essentielles”, 64 % ont acheté chez Shein ces 12 derniers mois, 42 % chez Zara, 33 % chez H&M.
Et les scandales ? Leur impact est marginal. L’intention d’achat recule d’à peine 1 point : de 27 % à 26 % en moyenne. Marque par marque, la baisse ne dépasse jamais 6 %… La remise en question existe dans le discours, pas dans le panier.
Le vrai sujet : la tension entre convictions et contraintes
Ce que révèle cette étude, ce n’est pas une société cynique : c’est une société à la fois lucide et contrainte. Les Français savent. Ils voient les images, les enquêtes, les controverses. Mais ils arbitrent : prix, pouvoir d’achat, envie d’être bien habillés, influence des réseaux, facilité du clic. Ils voudraient consommer mieux, mais consomment comme ils peuvent. Ils dénoncent le système, mais s’en accommodent assez bien.
Ce n’est pas une crise de valeurs, c’est une crise de cohérence. On critique Shein le matin, on commande Shein le soir — non par hypocrisie, mais parce que le réel (budget, désir, rapidité) prend le pas sur l’idéal. Cette étude n’accuse personne : elle montre le fossé entre le récit collectif et la vie ordinaire. Et pose une question essentielle : comment changer un modèle sans culpabiliser ceux qui y recourent, faute d’alternative accessible ?
Méthodologie
- Étude réalisée le 4 & 5 novembre 2025 dans la continuité du dossier spécial Textile sorti dans le numéro d’automne de L’Hémicycle
- Panel de 1 200 répondants de 18 à 65 ans
- Questionnaire portant sur les comportements d’achat, les critères de choix et l’impact des scandales
- Données collectées par Norstat, institut d’étude membre d’ESOMAR, l’association professionnelle internationale des organismes d’études de marché.