Au-delà de toutes les polémiques, la Coupe de monde reste une fête planétaire du football que le pays organisateur a voulu exceptionnelle.
Al-Janoub stadium. Photo : iStock
Sur la scène du Centre des expositions de Doha, l’acteur britannique Idris Elba (Beast, Fast and Furious, Trois mille ans à t’attendre…) et la journaliste anglo-bangladaise Reshwin Chowdhury se donnent la réplique. Le duo est bien rodé. Ce sont eux qui sont chargés d’animer le tirage au sort de la Coupe du monde 2022. Il est 19h00 à Doha. La cérémonie est retransmise en direct aux quatre coins de la planète. Nous sommes le 1er avril et c’est l’occasion pour le Qatar de démontrer son savoir-faire
Outre le tirage au sort, immuable dans son classicisme, le spectacle est somptueux. Astucieux mélange de tradition et de modernité, entre conformisme et audace. Les téléspectateurs du monde entier découvrent ainsi le pays appelé à capter, un mois durant, toutes les attentions de la planète. En direct, des performances de chorégraphies traditionnelles et ultramodernes se succèdent sur la scène la plus gigantesque mise en place pour un tirage au sort. Elles sont rythmées par des musiques du folklore Fidjiri du chef d’orchestre qatari Faissal al Tamimi, qui a composé la bande-son officielle de la Coupe du monde 2022.
La scène rappelle le mouvement et la légèreté des boutres, témoins d’un passé pas si lointain, tandis que des modules animés empruntent à la fois la forme naturelle des dunes et le chevauchement des lignes audacieuses de l’architecture des stades de Doha, avec en arrière-plan des images emblématiques du monde entier, tels le Louvre à Paris ou le musée Soumaya à Mexico. « Je suis déjà monté sur de nombreuses scènes dans le monde, avoue Idris Elba, mais celle-là est la plus singulière et la plus impressionnante. »
Une première dans le monde arabe
La 22e édition du Mondial de la FIFA est officiellement lancée. La première, dans la longue histoire de la Coupe du monde, organisée au Moyen-Orient et dans le monde arabe. On sait déjà que le Qatar mettra tout en œuvre pour faire de « son » Mondial le plus réussi, le plus abouti de tous les temps. D’ailleurs, Gianni Infantino, le président de la FIFA, sourires éclatants sous son crâne chauve, déborde d’un enthousiasme délirant : « Tout le monde est heureux. Le monde est impatient, mais le Qatar est prêt. Tout est en place. Ensemble, nous allons offrir la meilleure Coupe du monde de l’histoire, sur le terrain et en dehors ». Autant la réussite du Qatar dans son projet ne fait aucun doute, autant le choix de ce tout petit pays, à peine plus grand qu’un département français, peut paraître étrange. Le choix du Qatar, nouveau venu dans la galaxie sportive et n’ayant aucune tradition footballistique, n’en finit pas de susciter questions et suspicion.
Mais au-delà des enquêtes sur son attribution, des polémiques les conditions de travail des ouvriers étrangers, principalement parmi les ressortissants du Népal, d’Inde, du Pakistan, du Bangladesh et du Sri Lanka, dont plusieurs centaines sont morts sur les chantiers, et des appels au boycott, la grande fête du football aura bien lieu, en fin de compte. Un immense feu d’artifice doit ouvrir le match d’ouverture entre le Qatar et l’Équateur au stade Al Beyt à Doha. Un éblouissement colossal, démesuré vu depuis la stratosphère. C’est ça, la Coupe du monde version qatarie adoubée par la FIFA qui, après le séisme des « affaires », a choisi la voie de la collaboration avec les gouvernements, avec les agences mondiales de développement, avec des groupes de défense des droits de l’homme, avec des organisations internationales et locales et avec d’anciens joueurs de premier plan pour promouvoir une société plus juste et plus égalitaire grâce au football.
Le 22 juin 2022, au forum économique du Qatar à Doha, Sébastien Bazin prend la parole devant les caméras du monde entier pour exposer son point de vue sur les conditions de travail des ouvriers sur les chantiers du Mondial. Sébastien Bazin, c’est l’ancien patron de Colony Capital Europe, qui a vendu le PSG au Qatar, en 2011, et PDG depuis 2013 du groupe hôtelier Accor, dont Qatar Investment Authority est devenu un actionnaire important (10 % des parts) en décembre 2015. Pour la Coupe du monde qatarie, le groupe Accor a conclu un important contrat de 60 000 chambres, de villas et d’appartements destinés à l’accueil des supporters. « J’entends beaucoup de monde faire du Qatar bashing, dit Sébastien Bazin. Mais je n’ai pas vu beaucoup de preuves. Donc nous, nous allons tout faire pour que ce Qatar bashing soit erroné. Sur ce qu’on appelle le rapport à l’autre, en termes d’interactions humaines, non seulement nous serons au rendez-vous, mais vous pouvez être rassurés. »
Un événement exceptionnel
Bien avant l’événement, cette Coupe du monde singulière promettait d’être la plus extraordinaire jamais vécue. D’abord, compte tenu de la fournaise du climat durant la période où se déroule habituellement la compétition (juin et juillet), celle-ci a été fixée exceptionnellement entre le 20 novembre et le 18 décembre, date de la finale le jour de la fête nationale du Qatar. Remarquable, aussi, parce que ce pays, qualifié d’office en tant que pays hôte, est une exception dans la mesure où c’est la première fois qu’une nouvelle nation ne décroche pas sa qualification sur le terrain. Remarquable, encore, parce que la Coupe du monde 2022 est la septième et dernière édition à réunir 32 participants (depuis 1998), avant de passer à un tournoi à 48 équipes. Exceptionnelle, surtout, par les moyens mis en œuvre par le Qatar pour marquer les mémoires et s’inscrire à tout jamais dans l’histoire du Mondial.
Avec un PIB par habitant (ils sont trois millions) de 128 700 dollars, le Qatar est aujourd’hui le pays le plus riche du monde. Avec plus de richesse par habitant que la Suisse ou les États-Unis, il est un partenaire essentiel pour l’Europe dans sa quête de remplacement des importations énergétiques russes. Avec l’Australie, le Qatar est, en effet, le 1er exportateur de gaz naturel liquéfié au monde et un allié commercial pour les pays de l’Union européenne, qui doivent compenser la perte de l’approvisionnement en gaz fourni à hauteur de 40 % par la Russie. Gaz et pétrole sont les deux mamelles de l’économie qatarie et représentent 70 % des recettes totales de l’État, soit plus de 60 % du produit intérieur brut et environ 85 % des recettes à l’exportation. Des revenus faramineux qui ont valu au Qatar une prospérité exceptionnelle et ont fait de Doha, en arabe Ab dawhah (la baie), le siège du réseau de télécommunications arabe avec comme fer de lance la chaîne de télévision Al Jazeera, fondée en 1996 par le cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, le père du boom économique, qui abdiqua, en 2013, en faveur de son fils Tamim ben Hamad Al Thani, actuel émir du Qatar. On peut dire aujourd’hui qu’Al Jazeera et ses sociétés satellites, comme Bein Media Group, ont révolutionné le paysage audiovisuel du Moyen-Orient, mais pas seulement…
A l’évidence, le Qatar a dépensé sans compter pour faire de sa Coupe du monde une réussite. Huit stades ultramodernes à l’architecture futuriste ont été construits aux normes de sécurité les plus rigoureuses. Entièrement climatisés ainsi que les terrains d’entraînement, ils ont été conçus pour le bien-être des compétiteurs et le confort des spectateurs. Doha a profité de l’occasion pour se doter d’un métro sophistiqué. L’audace d’un urbanisme à la verticale offre la vision d’un univers agressif hérissé d’un enchevêtrement de tours en forme d’ogives que l’on croirait enfantées par l’imagination de Norbert Merjagnan (Samarante). Doha ressemble à ces cités futuristes décrites dans la littérature d’anticipation. Trois millions d’habitants y vivent dans un environnement climatisé, sans jamais respirer le souffle d’un air de lumière et de feu.
C’est là que les irréductibles du football vivront leur passion entre fanatisme cocardier et amour du beau jeu. Ils sont trois millions à avoir acheté leurs billets pour suivre les 64 matchs (32 équipes) d’une compétition qui devrait être suivie par plus de 3 milliards de téléspectateurs, soit plus du tiers de la population de la planète. Qatar Accommodation Agency, l’agence locale chargée de l’hébergement, offre des logements à partir de 80 dollars par nuit et par personne. Tout a été pensé pour satisfaire les besoins des groupes de visiteurs venant essentiellement des États-Unis, d’Arabie saoudite, d’Angleterre, du Mexique, des Émirats, d’Argentine, de France, du Brésil et d’Allemagne. Et, afin de ne pas entraver l’ambiance festive habituelle du Mondial, le Qatar, pays où l’islam est religion d’État, a même prévu des zones où la consommation d’alcool sera autorisée… mais pas de façon anarchique.