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La route, grand impensé de la transition ?

Au cœur des déplacements des Français, la route, a fortiori l’autoroute, doit être repensée dans sa globalité pour s’adapter au monde de demain. L’Hémicycle a organisé un colloque sur cette question majeure, alors que la transition écologique passe nécessairement par la décarbonation de la route.

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Impensé : qui n’a pas été pensé, conçu. Voilà comment le dictionnaire Le Robert définit ce terme. La route, alors, est-elle un impensé de la transition écologique ? C’était la question posée lors du colloque organisé par L’Hémicycle, le 31 janvier, en partenariat avec La Fabrique Écologique, VINCI Autoroutes et Mobilettre, au musée Guimet à Paris. A cette question, tous les acteurs présents, experts des mobilités, politiques, économistes, sociologues, ont clairement répondu : oui. Pas seulement la route, mais aussi, d’une manière générale, tout le secteur des transports, alors que ceux-ci produisent 30% des émissions des gaz à effet de serre du pays et représentent 30% de sa facture énergétique – à l’instar des autres pays développés. 

Revoir le colloque en intégralité

Clément Beaune, le ministre délégué aux Transports, lui-même, l’a admis en clôturant les débats : « La route est un impensé dans la mesure où l’on a sans doute [en France] l’une des politiques publiques les plus compliquées, parce qu’elle touche au quotidien, parce qu’elle est extrêmement morcelée et très décentralisée ; c’est un grand succès de notre politique de décentralisation, mais aussi une difficulté à l’articuler entre échelons et entre modes de transports ». C’est ce qui explique, selon lui, que « la pensée globale et structurée du rôle des transports dans la transition écologique est difficile et souvent encore assez faible »

Pour le ministre, la route « peut » et « doit » porter un effort de décarbonation. Et pour cause, elle est la « première pierre de notre mobilité humaine » et le « restera pendant de longues décennies » : « c’est l’outil de proximité le plus important ». Antoine Pellion, nouveau secrétaire général à la planification écologique, dont c’était l’une des premières interventions, a fait le même constat : « La voiture restera un moyen de transport absolument central à l’horizon 2035 et 2050. L’essentiel de l’effort de décarbonation doit porter sur les trajets du quotidien, entre 10 et 80 kilomètres, notamment entre les métropoles et les zones périurbaines ».

Clément Beaune, ministre délégué aux Transports. Photo Cyrille Dupont / The Pulses

Mais si la route, a fortiori l’autoroute, va demeurer au cœur des déplacements – 80 à 85% de ces derniers empruntent aujourd’hui la route –, celle-ci doit changer et s’ouvrir aux autres modes de transports qui doivent, demain, tous devenir complémentaires les uns des autres. Bref, la route doit être repensée dans sa globalité. Sinon, ont prévenu Clément Beaune et d’autres intervenants, la France n’atteindra pas l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 – qui implique une division par six des émissions de GES sur son territoire. 

Si la route est un impensé, c’est notamment parce que l’État a aussi, jusqu’à présent, beaucoup misé sur un autre secteur : le ferroviaire. « Pour décarboner les transports tout en favorisant la fluidité des déplacements, il faut que les politiques publiques ne restent pas dans une opposition stérile entre le rail et la route ; les opérateurs ferroviaires et autoroutiers doivent créer ensemble l’intermodalité », a souligné, en ouverture, le géopoliticien François Gemenne, corédacteur du dernier rapport du Giec. Tous les acteurs – dont la multiplicité constitue parfois un frein –, doivent donc développer de nouvelles relations et aller dans le même sens. « Il faut renforcer nos échanges avec les collectivités locales pour développer l’intermodalité, sujet clef de la mobilité pour tous », a souhaité Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme, Filière Automobile et Mobilité. « Les départements ont un rôle crucial à jouer dans la transition de la route, a abondé François Durovray, président du conseil départemental de l’Essonne. Nous devons faire évoluer la loi pour permettre aux territoires d’organiser le réseau routier. »

Le géopoliticien François Gemenne, avec Eric Revel, directeur de L’Hémicycle. Photo : Cyrille Dupont / The Pulses

Si la complémentarité des modes de transports est un levier, celle entre les infrastructures et les usages en est un autre. Or, Clément Beaune l’a souligné, « les usages ont longtemps été peu pensés dans nos politiques publiques des transports par fascination, obsession, pour les infrastructures. Et c’était normal : nous avons construit, depuis l’après-guerre jusqu’à nos jours, un réseau autoroutier en France qui a été un symbole de modernité, un outil de développement économique, un outil de mobilité et de connexion majeur dont nous devons être fiers. Mais cette « mentalité » de grands projets d’infrastructure nous a fait un peu oublier que l’on pouvait souvent, quand on se fixe un objectif de politique publique, pour une infrastructure donnée, changer les usages et aboutir à des résultats parfois moins coûteux ». La même route peut ainsi être le support d’un véhicule thermique ou électrique ; la même autoroute qui accueille, sur ses aires, des stations-services à essence ou d’autres carburants fossiles sera de plus en plus le support des bornes de recharge qui alimenteront les véhicules électriques ; la même infrastructure peut s’adapter et créer des parkings de covoiturages pour que l’usage collectif de la voiture se développe – des contrats entre l’État et les sociétés concessionnaires ont été signés en ce sens ; la même route peut encore accueillir des solutions d’autopartage qui contribue, par un changement des comportements, à décarboner l’économie française. Pour cela,les modèles concessifs « sont bons », a relevé le ministre délégué aux Transports : « Nos réseaux autoroutiers sont bien entretenus et offrent des perspectives de long terme, des investissements garantis dans la durée. Il faut repenser ce modèle dans les années qui viennent à la lumière de la transition écologique. » 

Mathieu Flonneau, historien des mobilités à l’université Paris I, a résumé le défi : « Ce sont deux siècles qu’il s’agit d’amender pour envisager la résilience routière. La route est le point de départ, elle permet de relier les hommes. La collectivisation des usages de la route doit être poursuivie. Et inventée ».

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