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Économie

L’inclusion économique n’est plus une option

Alors que l’industrie et les services manquent de main-d’œuvre, il y a urgence à s’intéresser à tous les talents, notamment ceux issus de la diversité qui sont disponibles, qualifiés et diplômés, mais qui ne trouvent pas d’emploi. Ce sujet sera au cœur du prochain Sommet de l’inclusion économique à Bercy, le 28 novembre prochain.

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Les études ne manquent pas sur les performances liées à la diversité et l’inclusion économique. Selon le cabinet de conseil Deloitte, « les entreprises qui pratiquent une politique inclusive génèrent jusqu’à 30 % de chiffre d’affaires supplémentaire par salarié et une profitabilité supérieure à celle de leurs concurrents ». Et pourtant, il reste du chemin à parcourir dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et une décroissance démographique européenne largement documentée, qui entraîne mécaniquement une baisse du nombre de personnes en âge de travailler. D’ici 2070, la population active diminuera de plus de trois millions de personnes, anticipe l’Insee.

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L’économie a donc besoin de tous les talents, quels que soient leurs origines ou leurs parcours. Un sujet qui résonne comme une réponse au moment où émergent les thèmes de la réindustrialisation, de l’innovation, de la transition écologique ou encore de la création d’entreprises. « Il y a urgence à s’intéresser à ceux qui sont disponibles, qualifiés et diplômés, mais qui ne trouvent ni emplois, ni responsabilités dans les organisations faute d’ouverture ou en raison d’une certaine autocensure », relevait en 2021 déjà, dans nos colonnes, Saïd Hammouche, fondateur du cabinet de recrutement Mozaïk RH et de la Fondation Mozaïk. Alors qu’il prépare le 3e Sommet de l’inclusion économique, qui aura lieu le 28 novembre à Paris, cet expert martèle son message inlassablement auprès des pouvoirs publics. « On a considéré, dans la France d’après-guerre, qu’une politique sociale et d’intégration était nécessaire, et cela a plutôt bien marché, car les populations sont plus autonomes et les ouvriers des années 1970 ont bénéficié des aides pour s’intégrer avec des politiques culturelles ou de logement ambitieuses, explique-t-il aujourd’hui. Désormais, nous avons besoin de leur donner accès au marché du travail ou aux financements de leurs projets entrepreneuriaux. »

Situation explosive

Il persiste, en effet, un écart structurel en matière de taux d’emploi dans les quartiers par rapport au reste du territoire. Idem en ce qui concerne les créateurs d’entreprises qui ne bénéficient ni de caution ni de financements. Un constat qui porte en lui les germes d’une situation explosive. « Le sentiment de discrimination s’aggrave d’une génération à l’autre, complète Saïd Hammouche. Les descendants d’immigrés ont moins de chance d’intégrer le marché du travail que leurs aînés, alors qu’ils sont plus de 70 % à avoir obtenu un diplôme supérieur à celui de leurs parentsIl faut éviter de leur donner le sentiment d’être des citoyens de seconde zone, non éligibles à la valeur républicaine de l’égalité. »

Le malaise ne date pas d’hier et peut s’analyser à la lueur de la construction européenne très centrée sur la rigueur budgétaire. Le sujet de l’inclusion a été relégué en raison, notamment, du traité de Maastricht, qui impose aux États une maîtrise drastique de leurs comptes publics. Cette vision a naturellement pesé sur les politiques sociales et d’intégration : moins de service public, moins d’éducation, d’éducateurs, de soutien de manière générale. « Il y a eu un effacement des cordes de rappel avec une forte réduction de la médiation dans les quartiers, accentuée par la déshumanisation des services due au numérique », poursuit encore le fondateur de Mozaïk RH. Et d’ajouter : « Nous avons perdu trente ans et nous en payons le prix fort aujourd’huiPrenons l’exemple de l’aide personnalisée au logement, pour laquelle on proposait une baisse de cinq euros. Cela ne paraît pas grand-chose, mais c’est un signe évident du désengagement des pouvoirs publics qui a touché directement les plus démunis ».D’un point de vue historique, « la stratégie de la France a surtout consisté à se mettre à la hauteur de l’Allemagne. En sacrifiant les populations les plus fragiles, celles qui s’expriment le moins, elle s’est mise dans une impasse. Au regard des contraintes budgétaires, la France a reculé, voire annihilé, les efforts accomplis précédemment. Elle a mené une politique de stop & go ».

Trajectoires professionnelles

Parallèlement, l’approche sécuritaire dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) a eu tendance à renforcer l’idée d’une politique fondée davantage sur la sanction que sur l’accompagnement. À l’évidence, cela n’a pas résolu les problèmes d’emploi, qui demeure le sujet numéro 1 à traiter pour éviter les réactions épidermiques de la banlieuecomme on a pu le voir lors des émeutes qui ont suivi la mort du jeune Nahel tué par un policier, « alors qu’une majorité de cette jeunesse est silencieuse, besogneuse et souhaite juste s’inscrire dans une dynamique de réussite professionnelle », avance Saïd Hammouche. Autre exemple édifiant : sur le territoire de Plaine Commune (Seine-Saint-Denis), le taux de chômage d’un bac + 5 est de 12,1 %, contre 7 % en Île-de-France. Pour les bacs + 3/4, la dynamique est plus marquée : 17 % contre 9,7 %[1]. Selon lui, il est urgent de mieux connaître les publics de ces quartiers, afin de suivre l’insertion des candidats et leurs trajectoires professionnelles. C’est la condition pour effectuer les bons diagnostics et, dans la foulée, décider des bonnes mesures. 

Le rôle des entreprises est fondamental, puisque ce sont elles qui changeront véritablement la donne. « Chaque entreprise doit voir en l’égalité des chances l’opportunité de renouer avec sa mission d’inclusion et d’ascenseur social par le travail, confirme Fathallah Charef, directeur des ressources humaines du groupe Colisée. L’entreprise, en tant qu’instance secondaire de socialisation, doit concilier activité économique et mission intégratrice. » Il leur revient de recruter des talents en mettant tous les profils sur la même ligne de départ. C’est dans leur intérêt, puisqu’elles peinent à trouver de nouveaux collaborateurs et cherchent des idées innovantes pour étoffer leurs équipes. Beaucoup de grandes enseignes sont engagées dans une politique de RSE ambitieuse sur des problématiques aussi variées que la parité, le handicap et la diversité. Reste à faire ruisseler les bonnes intentions dans l’ensemble du tissu économique. À cet égard, les innovations sociales portées par les associations pourraient être généralisées, dès lors qu’elles ont démontré leur efficacité afin de renforcer l’action publique. 

En matière d’entrepreneuriat, la situation est plus criante encore. Les stratégies de financement sont, jusqu’à présent, peu inclusives parce que les banques sont trop frileuses pour soutenir des projets des quartiers ou portés par des personnes issues de la diversité. Il y a pourtant un gisement colossal en matière de création de valeur. Beaucoup de jeunes lancent leur entreprise pour créer leur propre emploi et se dessiner un destin. Le phénomène est comparable en matière de parité : les levées de fonds sont voisines de zéro pour les projets féminins. Les banques ont une aversion au risque, alors même que les projets sont tout aussi viables que ceux portés par des jeunes hommes, blancs et diplômés de grandes écoles. 

Identifier d’autres viviers

Faut-il, dès lors, légiférer, comme lorsqu’il a fallu imposer, en 2011, des quotas de femmes dans les conseils d’administration ? Il semble plus probable que les mouvements démographiques et sociaux pousseront dans le bon sens pour que les entreprises ressemblent véritablement à la société. Elles n’ont, ou n’auront bientôt plus le choix, car elles ne peuvent pas exclure une partie de la jeunesse. Comme c’est déjà le cas dans plusieurs grands groupes, elles devront sensibiliser davantage leurs managers, qui n’ont pas été formés au recrutement inclusif et qui reproduisent forcément des biais. Les organisations recrutent trop souvent des clones, car on recrute volontiers celui que l’on connaît, dans son réseau, sa catégorie sociale ou son école. Il faut donc agir pour identifier d’autres viviers de talents. De nouveaux modèles de collaboration entre les entreprises et les pouvoirs publics peuvent aussi être imaginés pour favoriser l’inclusion économique qui n’est plus une option. Les partenariats publics-privés orientés sur l’impact et une mesure fine de l’inclusion constituent des pistes à suivre.

France Inclusion

La Fondation Mozaïk joue un rôle de médiation pour que l’État mette ce thème au cœur des politiques publiques. Sa base de données de 15 000 individus présélectionnés peut aisément être dupliquée afin de tracer les recrutements simplement. Saïd Hammouche avance une autre proposition : « Puisqu’on est dans un pays où l’économie donne le la, France travail (qui verra le jour le 1er janvier 2024 à la place de Pôle emploi et dont la mission est le plein emploi, ndlr) doit se doter d’un bras armé, France Inclusion. C’est lui qui définirait les stratégies, réfléchirait à leur mise en œuvre et déploierait les actions. Je milite pour la création d’une filiale de France Travail dans laquelle on pourrait réunir toutes les entreprises qui ont envie d’avancer en s’appuyant sur les collectivités et sur l’État. » 

Dernier chiffre qui peut rendre optimiste : selon une étude de Workday[2], 72 % des entreprises françaises sont conscientes de l’importance de la diversité et de l’inclusion et prévoient d’investir dans ce domaine. 


[1] Maison de l’emploi du territoire de Plaine Commune

[2] Étude sur les enjeux de diversité et d’inclusion dans les entreprises, Workday, 2022

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