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Thierry Coulhon : « Les grandes écoles sont capables d’impulsions majeures »

À quels grands défis l’enseignement supérieur devra-t-il se confronter demain ? Les patrons de deux de nos plus prestigieux fleurons, Thierry Coulhon, président par intérim de l’Institut Polytechnique de Paris, et Éloïc Peyrache, directeur général d’HEC, répondent tour à tour. Leur priorité : s’ouvrir à la diversité et à l’international.

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Les élites sortent-elles forcément des grandes écoles comme l’X ?

Thierry Coulhon Il faut s’entendre sur le terme d’élite. Je propose une définition assez large et englobante : ceux qui, par leurs capacités et leur volonté de s’engager, sont amenés à exercer des responsabilités. Il est clair qu’en ce sens, toutes les élites ne proviennent pas des grandes écoles (n’oublions pas que les juristes et les médecins sont formés à l’université), et même qu’elles ne sont pas nécessairement déterminées par le diplôme. Pourtant, il est vrai que les grandes écoles ont été créées autour de la mission de former des élites pour les entreprises et pour l’État, et qu’elles ont dans l’ensemble très bien assumé cette responsabilité.

Quel diagnostic posez-vous sur l’inclusion ?

T. C. Les deux impératifs essentiels pour la formation des élites sont l’exigence et l’ouverture. À l’évidence, il y a des progrès à faire sur l’ouverture. Ce n’est pas une découverte et il nous faut savoir où nous en sommes réellement maintenant. Les grandes écoles sont capables d’impulsions majeures. Quand, en 1972, l’entrée des femmes à l’X a été autorisée, cela a eu un effet d’entraînement massif sur la féminisation du métier d’ingénieur, et plus généralement sur la place des femmes dans la société. Pour autant, le recrutement dans les grandes écoles reflète-t-il la société ? Pas assez, sans aucun doute. Nous faisons des efforts avec le mentorat ou en diversifiant notre recrutement. À l’Institut Polytechnique de Paris (IP Paris), ces ambitions sont rassemblées au sein de notre Centre égalité des chances avec la volonté de faire évoluer le système. Notre tâche est de former des élites à l’image de la société, mais nous ne pouvons laisser penser que ce sont les grandes écoles qui sont responsables du manque de diversité. Repérer les talents est une question à laquelle tous les pays sont confrontés. J’ajoute, enfin, que la distinction « grande école versus université » est en train de s’estomper, à travers les grands ensembles comme Paris Sciences & Lettres (PSL), l’université Paris-Saclay, l’Institut Polytechnique de Paris, mais aussi à travers des initiatives innovantes partout sur le territoire, à Clermont-Ferrand ou à Valenciennes.

Que faudrait-il faire évoluer, selon vous, pour améliorer l’inclusion ?

T. C. La réalité est claire : les femmes ne sont pas assez présentes chez nous, et certaines CSP pas assez visibles. La prise de conscience me semble assez forte, et tous les acteurs avec qui je travaille considèrent que la diversité du recrutement est fondamentale. Avance-t-on assez vite ? Peut-être pas, mais il ne suffit pas d’établir des politiques publiques. Il faut pouvoir les évaluer objectivement. On ne peut pas nier que le système ait beaucoup évolué en vingt ans. Il n’y pas si longtemps que les taux de boursiers en prépa ont été acceptés…

Comment procéder, donc ?

T. C. Il faut sans doute accélérer et voir concrètement ce que l’on peut faire, en rappelant que beaucoup de choses se décident au niveau scolaire. À ce sujet, je considère que les recteurs et les proviseurs doivent redoubler de vigilance dans les choix des élèves. Pourquoi un nombre considérable de filles se détournent-elles des mathématiques expertes alors qu’elles en ont le niveau ? À nous d’aller expliquer nos parcours dans les lycées. Nous avons une exemplarité forte à porter. Certaines initiatives sont tout de même intéressantes. La création des CPES1 marque clairement l’ouverture de prépas vers les licences universitaires, qui sont dotées d’une vision pluridisciplinaire et bénéficient d’un contact précoce avec la recherche. Les CPES vont chercher des candidats partout en France et font la synthèse entre l’université et les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE).

Au HCÉRES2, que vous avez présidé, aviez-vous imposé des critères relatifs à l’inclusion ?

T. C. Dans tous les rapports qui m’étaient remis, si le taux de boursiers n’était pas indiqué, je le demandais expressément. La nécessité de mieux caractériser la provenance géographique des étudiants et la réalité des choix qui leur étaient proposés figuraient d’ailleurs parmi les points clés du projet d’observatoire de l’enseignement supérieur que j’avais préfiguré.

Vous êtes universitaire et ancien président d’université : les passerelles sont donc possibles entres grandes écoles et universités ?

T. C. Nous sommes aujourd’hui au-delà de simples passerelles. Les initiatives d’excellence ont eu pour effet d’aider à effacer les frontières. Nombre de grandes écoles prestigieuses sont désormais partie intégrante d’institutions universitaires, et les partenariats sont légion. Bien sûr, il subsiste deux filières de recrutement, mais on voit bien que les deux contraintes d’exigence et d’ouverture sont désormais assumées par des établissements hybrides. Tous les investissements consentis ont largement contribué à changer le paysage si l’on constate les regroupements et l’efficacité globale du système.

Vous étiez élève à l’X, que vous avez quittée pour étudier les mathématiques à l’université. Que symbolise, selon vous, aujourd’hui le fait de diriger l’IP de Paris ?

T. C. Cela veut tout d’abord dire qu’il n’y a pas qu’un seul parcours possible. J’ai passé le concours de Polytechnique, mais ensuite, j’ai voulu voir d’autres horizons, faire des maths pures et de la philosophie. Ce que j’ai fait, sans renier évidemment la formation d’excellence que proposait cette école, ni renier le trajet qui a suivi.

Vous savez, les grandes écoles ont considérablement changé depuis les années 1970, et le provincial que j’étais avait sans doute une image fausse de ces institutions. Ce qui traduit le fait que l’orientation est fondamentale et qu’il faut peut-être beaucoup mieux expliquer aux jeunes ce qu’ils peuvent attendre du parcours qu’ils préparent. La vie professionnelle nous apprend aussi que prendre des chemins de traverse, ce n’est pas si mal. L’ironie est d’ailleurs que j’ai fait ma thèse avec un mathématicien génial…qui sortait de l’X. Mais j’avoue que d’un point de vue personnel, il est très satisfaisant de boucler la boucle en revenant dans la maison qui m’a ouvert ses portes dans ma prime jeunesse, et qui m’a donné confiance.

1 /
Cycles pluridisciplinaires d’études supérieures : licences d’excellence à forte ouverture sociale.

2 /
Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

3 /
initiatives d’excellence, programmes d’investissement de l’État afin de créer en France des ensembles pluridisciplinaires de rang mondial.

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