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Transfuge, vous avez dit transfuge ?

Le concept, qui fait fureur, se révèle péjoratif pour celui qui s’en voit affublé. L’ascension sociale constitue pourtant l’un des fondements de notre société et de notre méritocratie républicaine.

Vintage engraving of an Anglo Saxon Plough and Ploughman

Ça y est, le mot est lâché. La nouvelle mode sémantique fait du « transfuge » le Graal des gens intelligents ! Au fond, depuis les salons du Marais où les Précieuses embrasaient les beaux esprits, rien n’a vraiment changé. Mais qu’est-ce qui se cache derrière cet alignement intellectuel en forme d’anathème ?

Bien évidemment, la question de la réussite sociale mérite d’être posée : ses ressorts intimes, l’écosystème qu’elle suppose, ses conséquences individuelles sont à explorer. Il en va ainsi du fonctionnement d’une société dont le moteur est de promouvoir l’évolution de chacun pour assurer son renouvellement et, du moins l’espère-t-on, son progrès. Ce principe fonde même la continuité de la société, et ce malgré les changements et les révolutions.

Ainsi, le paysan médiéval qui labourait son champ l’épée aux côtés, en devenant noble, le mercier marchand de l’Ancien régime, qui achète sa charge de secrétaire du Roi, ou le bourgeois de 1880 devenu industriel sont tous des transfuges. Cela en fait-il des traîtres à leur condition d’origine ? Il n’est qu’à contempler les paysages de la France pour voir que châteaux, églises, manoirs, fermes et manufactures sont autant d’empreintes de « réussites » constitutives d’un patrimoine culturel et social commun.

L’engouement populaire pour le patrimoine montre d’ailleurs à quel point l’image dévalorisée de l’ascension sociale n’a pas de sens. Cette mise à l’index du « transfuge de classe » porte en soi le germe de la culpabilité, dans une approche, au fond, assez moralisatrice. N’y-aurait-il pas, tapie dans l’ombre, une idée mal digérée de ce qu’est une famille, une lignée, un rapport malsain à l’héritage ? 

De La comédie humaine à l’analyse d’entomologiste de La Recherche du temps perdu, Balzac comme Proust nous parlent de ces parcours d’obstacles qu’implique la réussite sociale pour en dénoncer les bassesses, les dangers, mais aussi les exaltations. Leurs démarches littéraires invitent à soumettre la question au droit d’inventaire davantage qu’à la guillotine.

Avec la notion de transfuge, on fige la réussite sociale dans un rapport à soi, où seul son ressenti fait sens. Cet aspect négatif gomme totalement ce qu’elle implique : la transmission. Cette dynamique doit mettre en mouvement la société à travers la belle idée de son développement. Dès lors, les baby-boomers illustrent que l’essor économique dont ils procèdent a pu servir de catalyseur à une génération de femmes et d’hommes qui ont accédé à la connaissance, augmenté leur niveau de vie et se sont accomplis au-delà des limites de la naissance. Sortir de sa condition devient donc l’expression de son humanité. Pas une faute.

Pourquoi donc venir percuter de plein fouet l’idéal de la méritocratie républicaine que la classe politique appelle de ses vœux afin de retrouver un chemin d’avenir ? Illusions perdues ou Le temps retrouvé… à chacun de faire de son parcours à la fois le meilleur moyen d’accomplissement de soi et une occasion de partager avec les autres. À chacun son roman.

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