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Pourquoi les primeurs revendiquent le statut d’artisan

La fédération Saveurs Commerce, qui regroupe 12 000 Primeurs en France, a pour objectif de voir inscrite la profession dans la liste des métiers éligibles au titre dartisan. L’enjeu : la reconnaissance des savoir-faire du métier.

corbeille

Il ne leur manque plus qu’un statut. Être primeur, c’est bien plus que vendre des fruits et légumes. Ces professionnels les sélectionnent, les affinent, les valorisent sur les points de vente et, de plus en plus, les transforment. Le tout en conseillant bien sûr leurs clients. D’où le combat mené depuis trois ans par leur fédération, Saveurs Commerce, afin d’inscrire la profession dans la liste des métiers éligibles au titre d’artisan. Pour l’heure, sans succès. À l’automne 2023, le ministère délégué aux Petites et moyennes entreprises, au Commerce, à l’Artisanat et au Tourisme a jugé son argumentaire insuffisant et rejeté sa demande. Depuis, la fédération demeure dans l’attente d’une nouvelle décision. Après les fromagers, qui avaient obtenu le statut d’artisan en 2015, le métier de primeur demeure donc le seul métier de bouche non inscrit dans la liste de l’Artisanat.

 « Pratiquement du traiteur »

« Vendeur des quatre saisons », « marchand de fruits et légumes », « maraîcher », « fruitier » … Les appellations utilisées pour désigner le métier de primeur ont été nombreuses et ont varié dans le temps. « Il y a une quinzaine d’années, nous avons décidé de lui donner un nom, explique Christel Teyssèdre, présidente de Saveurs Commerce. Cela a été long, mais nous sommes parvenus à faire rentrer le nom de primeur dans le vocabulaire courant. » Mais le cœur du métier et ses nombreuses facettes restent méconnus. « Les clients ne s’imaginent pas tout le travail effectué avant que les fruits et légumes arrivent sur l’étal », poursuit la présidente de la fédération.  

Christel Teyssèdre, présidente de la fédération Saveurs commerce. Photo : DC

Des tâches multiples que connaît bien Didier Phalyvong, primeur à Cormeilles-en-Parisis, dans le Val d’Oise : « Je me déplace au marché de Rungis pour choisir mes fruits et légumes sur place, au contact des producteurs », explique-t-il. Une première étape de sélection « fondamentale » pour les primeurs, qui ont à cœur de valoriser les productions locales et de saison. Ensuite vient celle de l’affinage : « Après les achats, certains produits nécessitent un ou deux jours de maturation : nous les mettons à température ambiante et les surveillons jusqu’à ce qu’ils soient mûrs à point pour le client », explique Didier Phalyvong.

Didier Phalyvong, primeur à Cormeilles-en-Parisis, dans le Val d’Oise. Photo : DC

Outre ces phases de sélection, de conservation, de mise en rayon et de conseils aux clients, les primeurs confectionnent depuis toujours des corbeilles de fruits, à l’image des fleuristes qui composent des bouquets. Une nouvelle activité de transformation, incluant notamment la découpe et la préparation de fruits et de légumes prêts à consommer, qui s’est développée ces dernières années. Et une évolution du métier qu’a constatée Didier Phalyvong, installé depuis neuf ans : « Avant, sur dix ananas, j’en vendais un seul épluché. Aujourd’hui, c’est l’inverse », dit-il, avant d’ajouter : « Nous travaillons nos produits bruts et les clients repartent avec un plateau de dips de légumes ou une salade de fruits. Nous sommes primeurs-traiteurs ! », estime-t-il. De nouvelles pratiques qui répondent aux changements dans les modes de consommation des Français : « Avant, les gens avaient le temps et l’envie de cuisiner leurs fruits et légumes. Aujourd’hui, nous vendons aussi bien des légumes déjà épluchés pour les soupes que des haricots équeutés, des jus ou de belles créations fruitées pour les desserts. Nous pouvons même donner une seconde vie aux produits défraichis en les cuisinant », expose Didier Phalyvong. Dans un contexte où la consommation de fruits et légumes est un réel enjeu de santé publique, les primeurs mettent ces produits frais et sains au cœur de l’alimentation, avec des préparations maison. Ils facilitent leur consommation et les valorisent pour donner envie.

Une planche de fruits et de légumes prêts à consommer. Photo : DC

 « Plus le même métier »

« Ce type d’activités représente 20% du chiffre d’affaires des primeurs, une part non négligeable de leurs revenus », précise Christel Teyssèdre. Didier Phalyvong poursuit : « Aujourd’hui, je ne fais plus le même métier qu’il y a dix ans. Je transforme les fruits et légumes, je les prépare de différentes façons ce qui nécessite une technicité et des connaissances. J’aimerais que ce savoir-faire soit valorisé ».

Pour Christel Teyssèdre, cette revendication du statut d’artisan, est avant tout un enjeu de reconnaissance et d’attractivité du métier : « nous agissons pour attirer les jeunes. C’est pourquoi nous avons créé, en 2017, le CAP Primeur qui a marqué une étape importante dans cette direction. Mais cela ne suffit pas. Nous n’arrivons pas à remplir les classes, non pas par manque d’entreprises, mais par manque de jeunes ! Ils ne connaissent pas notre métier, qui pourtant recrute ».

Marie Hamon, gérante du Primeur des Lys, à Gisors, dans le département de l’Eure, en Normandie

Une telle reconnaissance, aux yeux des jeunes mais aussi de leurs parents, « souvent prescripteurs » pour les choix de leurs enfants, donnerait une image différente du métier. Cela constituerait également un signe en direction des demandeurs d’emploi, qui « préfèrent aller travailler dans l’artisanat plutôt que dans une chaîne de grande distribution », analyse Christel Teyssèdre.

Refus gouvernemental

Après avoir dans un premier temps adressé cette demande en juillet 2021 à Alain Griset, ministre délégué aux Petites et Moyennes Entreprises de l’époque, Saveurs commerce a réitéré l’opération en 2023 auprès de celle qui lui a succédé à ce poste, Olivia Grégoire. Après un courrier accompagné d’une étude réalisée auprès de 4 000 primeurs, la profession s’est vu refuser l’accès au statut d’artisan. Dans sa lettre de réponse, en novembre 2023, la ministre a estimé que « le critère du caractère artisanal de cette activité, au sens de l’article L. 111-1 du code de l’artisanat, n’est pas démontré » et que « cette situation ne concerne pour le moment qu’un nombre très limité de professionnels ». Les conditions d’éligibilité au statut d’artisan inscrites dans ce code, sont pourtant, entre autres, les suivantes : «employer moins de 11 salariés» et « exercer, à titre principal ou secondaire, une activité professionnelle indépendante de production, de transformation, de réparation ou de prestation ». Voilà pourquoi Christel Teyssèdre juge cette décision « infondée ».

Depuis, et malgré les multiples courriers et appels de la Fédération, du côté du gouvernement, c’est le silence radio. D’où un sentiment d’impuissance chez les responsables de Saveurs Commerce : « Je ne sais plus quoi faire pour que la ministre reconsidère sa réponse, qui nous parait injuste, d’autant que cette décision n’engendre aucune dépense publique », se désole sa présidente. En mars 2024, au Salon de l’Agriculture, Christel Teyssèdre a tenté une nouvelle approche auprès d’Olivia Grégoire, qui lui a assuré qu’elle allait « revoir sa copie ». « Nous avons depuis le début le soutien des différents représentants de l’Artisanat et de la filière des fruits et légumes, et espérons cette fois-ci un retour positif de la ministre pour enfin rejoindre la grande famille des artisans de bouche », conclut Christel Teyssèdre.

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