Ce titre d’une fameuse émission de télévision a débouché sur un concept qui domine aujourd’hui la vie politique et la découpe en tranches. Au risque de nous faire perdre de vue la vision panoramique.
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« La séquence du spectateur ». Ce titre d’une émission de télévision dédiée à l’actualité cinématographique, créée par Claude Mionnet et diffusée chaque semaine entre 1953 et 1989, ne dira sans doute plus grand-chose à la plupart des gens. Mais en ce qui me concerne, il me rappelle mes dimanches d’enfant. Peu avant midi, pendant un quart d’heure, trois ou quatre extraits de films donnaient au téléspectateur un aperçu sur la diversité du 7e art, sa profondeur et ses coulisses.
Depuis, par un glissement sémantique à mon sens dangereux, le mot « séquence » a fait son irruption dans le monde politique. Nous avions connu l’épopée gaullienne et le récit pompidolien, la modernité giscardienne et le changement mitterrandien. Mais aujourd’hui, la vie politique se découpe en tranches. Au risque de nous faire perdre de vue la vision panoramique pour ne parler qu’à des segments de la population. Cette approche fragmentée, qui constitue l’apanage du marketing, a fait irruption pour prendre le gouvernail et dominer un « agenda politique » censé apporter des réponses différenciées aux problématiques du moment.
Mais voilà : lorsque l’exécutif se lance tous azimuts dans cette course effrénée à la surproduction de messages, au risque de saturer l’espace médiatique, non seulement l’essentiel s’estompe, mais la réalité peut venir percuter de plein fouet une de ces séquences concoctées par de minutieux communicants. Et faire courir aux décideurs un grand danger, au premier rang desquels la déconnexion.
Que penser alors d’un post récent de l’Élysée sur les réseaux sociaux, dédié aux « vertus de la cuisson propre », au moment où l’actualité « pleine de bruit et de fureur » nous parle du mur des Justes, dans le Marais, recouvert de tags aux relents immondes, d’une attaque à l’arme lourde d’un convoi pénitentiaire digne d’un épisode de Miami Vice, dans laquelle la vie d’un homme ne vaut plus rien, de la guerre civile en Nouvelle Calédonie, qui pose la question stratégique de la France, de son empire, et de l’idéal républicain ? Que faire ? Se réfugier dans la déploration est stérile. Accuser le système, qu’on ne changera pas, pas mieux.
Je vois pourtant une solution, qui n’est pas miracle, mais primordiale : se forger soi-même une conviction afin de réinvestir notre place de citoyen. Lire la presse, écouter la radio, faire l’effort de s’intéresser aux programmes politiques en ces temps de campagne européenne. Bref, « frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui », comme le dit si joliment Montaigne, dans un débat redevenu un échange construit, apaisé, et respectueux où l’on sort des sentiers battus, de la glose des chaînes d’info et des slogans en 280 caractères.
Oui, il faut faire cet effort pour redevenir acteur au sens fort, et cesser d’être ces spectateurs que l’on voudrait que nous soyons. Si le cinéma cultive son mystère et son art dans les salles obscures, la vivacité d’une démocratie, quant à elle, doit se vivre en pleine lumière, celle de la prise de conscience de chaque citoyen afin que celui-ci se forge une conviction propre. Dès lors, l’engagement civique passe à la fois par ce réarmement intellectuel à la portée de la volonté de chacun, et par ce pari de l’intelligence collective. Moteur. Action !