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Les crêpières Krampouz, histoire d’une recette gagnante

Le leader mondial de la crêpière professionnelle a inauguré, vendredi 15 mars, l’extension de son usine de Pluguffan (Finistère). Un évènement notable pour la marque acquise par le groupe SEB en 2019, dans un contexte économique marqué par plusieurs décennies de désindustrialisation.

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Il est 11 heures 30 à Pluguffan (Finistère), ce vendredi 25 mars. Juste devant l’atelier tôlerie « flambant neuf » de 1000 m2, Thierry de la Tour d’Artaise, PDG du Groupe SEB, découpe avec émotion le ruban d’inauguration de l’extension de l’usine Krampouz. « Pour un industriel, il n’y a rien de plus agréable que de d’inaugurer une extension d’usine. Cela signifie que les affaires vont bien », se réjouit, sous les regards attentifs de 120 collaborateurs de la marque et de 60 invités, le patron du groupe d’électroménager, qui a racheté en 2019 la fameuse marque de crêpières.

Pour la marque Krampouz – du mot « krampouezh », ou « crêpe » en breton -, fondée en 1949 par un électricien qui avait bricolé une crêpière que lui demandait sa belle-sœur, c’est un grand jour. Installée en 2001 dans cette ville proche de Quimper, initialement dans un local de 3000 m2, l’usine, qui fabrique notamment crêpières, gaufriers et planchas, atteint désormais 10 000 m2. Montant de l’investissement : 5 millions d’euros.

Un secret jalousement gardé

La visite débute. Les invités déambulent pas à pas dans les locaux de l’atelier, scrutant les nombreuses machines et les mouvements rapides et précis des employés. « C’est ici que s’opèrent le découpage et le pliage des feuilles de tôle », introduit Luc Jaffrennou, responsable qualité de Krampouz. Composées « d’acier inoxydable, d’aluminium ou de laiton », ces dernières sont travaillées à la main par les employés, ou par la « machine de pliage économe robotisée ». Un mastodonte acquis en 2018, d’une valeur de 1,3 millions d’euros. Une fois découpée et pliée, il faut procéder « à la soudure et au polissage » de la matière, continue Luc Jaffrennou en se dirigeant vers l’atelier chaudronnerie, d’une surface de 2700 m2. Là encore, tout est fait à la main afin de « garantir la robustesse des produits et le savoir-faire de Krampouz », précise-t-il. 

Quelques pas plus loin, les visiteurs s’arrêtent un instant face à ce qui constitue l’une des clés du succès mondial de Krampouz : « la résistance perlée », utilisée pour la fabrication de la fameuse crêpière Billig. Un secret jalousement gardé : « vous ne pouvez pas prendre de photos ni de vidéos ici », prévient-il. La dernière étape du processus consiste à tester puis emballer les produits refroidis.

Des produits exportés vers 150 pays

Les invités progressent vers la dernière étape : l’espace « logistique et export », endroit stratégique de ce nouvel investissement, également dédié à la recherche, à l’innovation et à la sécurité ainsi qu’à la logistique. C’est aussi ici que sont préparés et expédiés les « accessoires et les petits outils pour la vente en ligne », précise-t-il. Chaque année, Krampouz fabrique 100 000 produits finis, dont 35 000 crêpières, 30 000 planchas et 3000 gaufriers. Et exporte dans 150 pays, majoritairement en Europe, mais aussi vers les Etats-Unis, le Canada, le Maghreb, le Moyen Orient, et le Mexique.

Il est 13 heures. Porté par deux chefs cuisiniers, un énorme gâteau d’anniversaire fait son entrée sous une pluie d’applaudissements. Des musiciens en costume traditionnel breton l’accompagnent à coups de cornemuse. « Aujourd’hui, nous fêtons deux évènements : les 75 ans de Krampouz et son extension », déclare Thierry de la Tour d’Artaise après avoir découpé la pièce montée. Pour le PDG de SEB, « cette acquisition nous permet d’augmenter nos capacités de production, de logistique, mais aussi nos espaces laboratoires pour être innovants ».

Garant de 44 sites industriels, dont 14 implantés dans l’Hexagone, SEB, qui possède 35 marques, demeure attaché au « fabriqué en France ». Et pour continuer à s’inscrire dans cette dynamique, son PDG met en garde sur les freins existants à la réindustrialisation du pays, tels que « les impôts de production, le crédit impôt recherche, et l’inflation normative ». Alors que nombre d’élus assistent à l’inauguration, Thierry de la Tour d’Artaise clôture son discours par une adresse : « je compte sur tous les politiques du pays pour diffuser ce message ».

La réindustrialisation, « mère de toutes les batailles »

Si l’évènement a suscité autant d’intérêt, c’est parce qu’il est le reflet d’un succès industriel français, à l’heure où la réindustrialisation de la France est devenue une cause politique nationale. Et pour cause : entre 1970 et 2022, la part de l’industrie française dans la richesse du pays a chuté de 20% à 9,5% selon l’INSEE. Un demi-siècle pendant lequel 2,5 millions d’emplois industriels auraient été détruits. Il y a urgence, donc. D’autant que la crise du Covid et la guerre en Ukraine sont venues cruellement rappeler aux Français, et aux Européens, combien la souveraineté industrielle constituait un enjeu fondamental pour l’avenir.

Voilà pourquoi Emmanuel Macron a, depuis 2020, fait la réindustrialisation « la mère de toutes les batailles ». Signe d’une volonté de retour à l’ambition politique des années De Gaulle et Pompidou et à la souveraineté productive. Inversion de la tendance délocalisatrice, réimplantation d’usines sur le territoire national, création d’emplois, décarbonation de l’économie, investissement dans la santé ou la « tech »… En deux ans, l’État a investi plus de 150 milliards d’euros dans ce cercle vertueux. Compétitivité des entreprises et réindustrialisation ne constituent plus une option, mais une nécessité.

« Krampouz n’a pas succombé aux sirènes de la délocalisation »

Présents à l’inauguration de la nouvelle usine Krampouz, nombre d’acteurs économiques et politiques y ont évoqué ces enjeux, en particulier les plus cruciaux pour les entreprises : « les charges fiscales, sociales, réglementaires et normatives, plus élevées qu’en Chine, en Allemagne ou Italie », énumère Maël De Calan, président (Les Républicains) du conseil départemental du Finistère. Une dynamique « d’allègement » de ces charges a déjà été insufflée par l’actuel chef de l’Etat, avec notamment la baisse à 25% du taux de l’impôt société (IS) et de 10 milliards d’euros sur les impôts de production. La fiscalité n’est cependant pas la seule et unique explication au déclin industriel : « de nombreux groupes ont décidé, à mesure qu’ils s’internationalisent », de troquer leur marque contre une version « tout terrain », symptôme d’« une perte de racine », regrette Maël de Calan.

Aux yeux de Loïc Le Henaff, PDG du Groupe Jean Henaff, première marque nationale de pâtés et rillettes, installée lui aussi dans le Finistère, la marque Krampouz, elle, n’a jamais « succombé aux sirènes de la délocalisation », salue celui qui est aussi conseiller régional de Bretagne, délégué aux relocalisations. De fait, l’entreprise représente aujourd’hui un modèle de succès industriel français. « Depuis que nous avons repris la marque, nous avons augmenté le chiffre d’affaires de 40%, malgré la période du Covid », se félicite Thierry de la Tour d’Artaise. Si Krampouz a surmonté cette dernière, ce n’est pas par hasard : « c’est une entreprise née ici, sur une base solide de consommation de crêpes : à l’époque, il fallait créer un appareil qui puisse les préparer à la maison », explique le patron de SEB en référence aux origines de Krampouz.

Nouveau départ

« Cet ancrage a permis à cette entreprise de perdurer par sa qualité, et donc par son savoir-faire », explique Loïc Le Henaff. Imprimée dans l’inconscient collectif français, la marque a reçu en 2023, pour la seconde fois, le label Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) visant à honorer « les entreprises qui, par leurs process, leurs histoires, leurs excellences, ont contribué à construire l’histoire de l’industrie et de l’artisanat français », détaille Alain Espinasse, le préfet du Finistère. Bénéficiant de la même distinction, Jean Henaff et Krampouz, dont les histoires comportent nombre de similitudes, « s’adressent à tout le monde et vivent dans les familles », raconte Loïc Le Henaff. Des caractéristiques qui constituent « les fondements de leurs popularité » et des atouts indéniables. L’usine Krampouz, ou le modèle d’un nouveau départ industriel.

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