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Tribune

Prêt à penser

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En France, de Montesquieu à Zola, de Voltaire à Raymond Aron, de Pascal à François Mauriac, un débat intense a toujours nourri le questionnement autour de cette République des idées qui est la nôtre. Chacun peut y trouver son parti, sa famille de pensée, son engagement.Un peu comme au football, où chacun choisit son équipe de cœur. Il en résulte des joutes et des controverses qui traversent les siècles et participent à la vie intellectuelle française, à son ébullition permanente, à ses jaillissements et ses excès aussi… et c’est bien !

Seulement voilà : ceux qui avaient décidé en son temps qu’il était « interdit d’interdire », décident d’interdire ce qui ne l’est pas, au nom de leur propre vision du monde et de l’ordre intellectuel qui doit y régner. Le 7 mars dernier, par la voix de l’historien Patrick Boucheron,professeur au collège de France, les éditions PUF ont ainsi été dissuadées de publier un ouvrage sur le wokisme, co-écrit par Pierre Vermeren, Emmanuelle Hénin et Xavier-Laurent Salvador. Ce qui ne manque pas de saveur, c’est que cet ouvrage commandé trois ans plus tôt par ce même éditeur correspondait en tout point à l’esprit voulu par ce dernier. Une sorte de censure préalable, en somme. Initialement, l’ouvrage devait s’intituler Manifeste contre le wokisme, mais ses auteurs l’avaient finalement nommé L’obscurantisme.

En France donc, un livre non encore publié, non distribué, que personne n’a pu lire a été interdit. Au nom de quoi ? Tout d’abord, de la peur qu’a inspiré à l’éditeur ce professeur perché sur sa montagne Sainte Geneviève. Le premier aurait ainsi voulu épargner sa maison d’édition. Sur le fond, voilà à quoi veulent nous réduire les apôtres de la vision d’un monde constitué de vastes espaces, traversés par des flux, où l’histoire des peuples ne serait pas un récit qui construit les imaginaires collectifs et forgent les identités, mais seulement un sujet d’étude pour gens intelligents. Dans cette religion-là, on proclame l’avènement d’un monde où l’intelligence est artificielle. En proposant une reconstruction du monde, on décide quoi penser, quoi dire, quoi aimer. Étrange conception, qui aboutit au paradoxe mortifère d’un monde sans frontières qui enferme, d’un collectif qui antagonise, d’une civilisation qui se renie.

On connaît trop ce combat névrotique contre l’enracinement, cette défiance permanente de la référence, cette proclamation d’une néo culture composite. La proposition qui en résulte est une négation de nous-mêmes. A force d’être artificiel, de se couper du réel, ce petit monde s’écroulera sur lui-même. En attendant, c’est cette conception qui mène le bal. Ce qui interroge beaucoup, c’est le mécanisme à l’œuvre dans cette tentative de réglementer le droit de penser. Où se situe cette tour de contrôle qui se dérobe aux yeux des simples mortels, et où l’on décide ce qui doit être publié ou non ? Seule la Loi pourrait faire respecter un cadre qui,en l’espèce, n’a pas été enfreint. Alors, qui décide ? Et de qui ces décideurs tiennent-ils leurs mandats ? Ce qu’il y a là de révoltant, c’est que l’opinion publique ne peut pas identifier ce qui se joue. C’est d’être tenu à l’écart. C’est l’idée même de la confiscation. Cette autorité de contrôle des idées, non identifiée, avance masquée. Une forme de pouvoir invisible dans la cité, en somme, qui prend le pas sur l’esprit des lois, comme une soustraction de démocratie.

En attendant, gageons que L’obscurantisme trouvera un éditeur courageux prêt à encourir la foudre, à moins d’avoir recours aux bonnes vieilles recettes d’antan et de filer aux Pays-Bas pour se faire éditer, comme le firent en leur temps Spinoza ou Voltaire. Quel progrès ! Cette réflexion talentueuse de trois intellectuels qui ont fait leur preuve doit être publiée. La seule chose qui compte est que ce livre puisse nourrir le débat. Engendrer la contradiction. Apprécié, combattu, détesté, porté aux nues… peu importe. Mais si en France, la pensée devient unilatérale, alors c’est à désespérer.

Comme l’avait prophétisé Marguerite Duras, en 1985, au sujet de l’avènement et de la chute de la société médiatique, celle qu’elle intitulait la société de « l’information constante » : « Un homme, un jour, lira. Et puis tout recommencera ». 

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