Les Rencontres RSE LOXAM se sont tenues, le 19 juin 2025 au Hangar Y de Meudon (Hauts de Seine), sur le thème : « La location : levier d’une transition durable ». Acteurs publics, privés, institutionnels et experts de l’économie circulaire ont échangé autour d’un constat partagé : face à l’urgence écologique, la location n’est plus simplement un choix économique, mais une réponse systémique aux enjeux environnementaux, sociaux et technologiques.

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Pauses réglementaires, tensions budgétaires, complexité croissante des politiques environnementales… En ouvrant la soirée, Gérard Déprez, président du Groupe LOXAM, a dressé un constat lucide des incertitudes actuelles. Mais il refuse de voir là un recul : « Ce n’est pas un renoncement, mais un ajustement. Le cap doit être maintenu, avec une feuille de route réaliste », affirme-t-il.
Dans des secteurs comme le BTP, l’industrie ou les services urbains, la location présente des avantages décisifs, parfaitement alignés avec les enjeux de transition écologique : réduction des coûts, optimisation des usages, prolongation de la durée de vie des équipements. Pourtant, des obstacles subsistent, notamment d’ordre culturel. « Notre société reste profondément attachée à la propriété. Même les pouvoirs publics continuent de privilégier l’achat à la location », déplore-t-il, en appelant à un changement de regard et à un rôle incitatif accru de l’État, à coût neutre.
Repenser nos modèles
Changer de paradigme ne se décrète pas : c’est une transformation en profondeur qui suppose de repenser notre rapport à la propriété, à la performance et à la valeur. Cette idée a constitué le fil conducteur de la première table ronde, consacrée à l’économie circulaire et à l’économie de la performance : deux modèles complémentaires qui interrogent la manière dont nous produisons, consommons et investissons.
François-Michel Lambert, président de SOROA et co-auteur du livre Économie circulaire : les défis à relever pour atteindre une économie de performance (Dunod, 2025), a ouvert la discussion en pointant les limites des scénarios actuels de neutralité carbone à l’horizon 2050. Selon lui, ces trajectoires reposent sur une consommation de ressources « quatre fois supérieure à ce que la planète peut offrir ». Pour éviter cette impasse, il plaide pour une refonte de nos pratiques en matière d’usage des biens matériels, ainsi qu’une remise à plat de nos chaînes logistiques. Il appelle à instaurer des « règles du jeu favorables à l’économie de la fonctionnalité », un modèle dans lequel l’usage prime sur la possession.
Dans cette logique, Jérémie Almosni, directeur Ville et Territoires Durables à l’ADEME, a partagé les enseignements d’un programme pilote mené depuis trois ans auprès d’une douzaine de grandes entreprises françaises. En les accompagnant à travers une expertise technique et un soutien financier, l’ADEME les aide à évoluer vers des modèles économiques centrés sur le service plutôt que sur la vente de produits. Cette mutation, explique-t-il, amorce une transformation culturelle progressive mais tangible : elle crée de la valeur, non seulement pour les entreprises, mais aussi pour leurs collaborateurs, qui y trouvent plus de cohérence et de sens dans leur travail.
Ce changement de perspective rejaillit sur les politiques d’achat, désormais perçues comme des leviers stratégiques. Pour Jean-Luc Baras, président du Conseil National des Achats et directeur des achats du groupe Eiffage, il devient essentiel d’« intégrer la notion d’usage dans les politiques d’achats ». Il insiste également sur l’importance d’inclure les matériels électriques dans les critères d’achat et de « convaincre le client que la décarbonation crée de la valeur ».
« Chaque acte d’achat est un acte politique », rappelle Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises. Il plaide en faveur d’une généralisation de la notion de « coût complet » — une approche qui englobe l’ensemble des impacts environnementaux, sociaux et économiques d’un investissement. Trop longtemps, dit-il, « on a opposé rentabilité et écologie ». Or, des solutions comme la location démontrent qu’il est possible de conjuguer performance économique et réduction de l’empreinte carbone.
Décarboner les chantiers
Face à l’urgence climatique et à la pression croissante sur les ressources, la décarbonation des chantiers passe aussi par une transformation des modèles d’usage des équipements. À ce titre, la location s’impose comme une solution à fort potentiel, mais encore sous-exploitée. C’est ce qu’a démontré la seconde table ronde, consacrée à la décarbonation des chantiers. Modèle sobre et circulaire par essence, la location permet de mutualiser les équipements, d’augmenter leur durée de vie et d’encourager les fabricants à concevoir des matériels plus robustes, réparables et moins polluants. Elle s’inscrit pleinement dans les logiques d’économie circulaire, « pourtant encore peu valorisées à l’échelle européenne », déplore Carole Bachmann, directrice de l’European Rental Association.
Face à la diversité des chantiers, aucun vecteur énergétique unique ne s’impose. L’électrique représente une solution d’avenir, mais ne couvre pas tous les usages, tandis que l’hydrogène reste peu mature. Les loueurs doivent composer avec des flottes hybrides pour répondre aux besoins variés. À cela s’ajoute la rareté des métaux stratégiques et indispensables à la transition énergétique et numérique, comme le cuivre ou le cobalt, majoritairement situés dans des pays hors UE. Pour Valérie David, fondatrice d’Alinéa Verde, seule une combinaison entre « économie de la fonctionnalité, éco-conception et recyclage permettra de réduire cette dépendance et de sécuriser les approvisionnements », insiste-t-elle.
IA et data : pour un chantier plus propre et plus sûr
L’intégration de la donnée et de l’intelligence artificielle (IA) dans le BTP n’est plus une option : c’est une condition d’efficacité, de sécurité, et de compétitivité. Mais cette transformation ne pourra s’opérer sans un changement de posture. « Près de 89 000 accidents de chantier sont recensés chaque année, et 70 % d’entre eux accusent des retards », alerte Salime Nassur, fondateur et Président-Directeur Général de Maars. En parallèle, des tonnes de données restent inutilisées, faute de structuration ou de culture numérique. Il insiste sur la nécessité de passer d’un « fixed mindset » (état d’esprit figé) à un « growth mindset » (culture d’apprentissage). Cela commence par nommer des référents IA dans les entreprises, exploiter un grand nombre de données, et oser changer les méthodes.
Ce virage, Xavier Guyot, directeur technique chez Colas (groupe Bouygues), l’a déjà pris. Dès 2018, son entreprise a investi dans la constitution d’un pôle IA. Résultat : des capteurs intelligents et des caméras embarquées permettent aujourd’hui d’anticiper les risques, d’analyser les causes d’accidents passés, et de proposer des mesures correctives adaptées. Grâce à cette technologie, Colas peut analyser l’état de plusieurs kilomètres de route et proposer des scénarios d’intervention. C’est, là encore, un levier de sobriété : entretenir mieux, intervenir plus vite, et optimiser l’usage des ressources.