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Côte d’Ivoire : un exemple dans la lutte contre la guerre informationnelle

L’aéroport international Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan offre, dès l’arrivée, un aperçu de la dynamique qui traverse le pays. Mais, alors que la Côte d’Ivoire s’affirme comme un nouvel épicentre diplomatique et financier africain, le pays s’apprête à franchir une étape délicate : des élections sous tension, dans un contexte de rivalités politiques internes et de guerres informationnelles extérieures.

Marc Ferracci(18)

Depuis dix ans, la « perle de l’Afrique » enchaîne les succès économiques : croissance parmi les plus dynamiques du continent, modernisation accélérée des infrastructures routières, essor d’un nouveau skyline à Abidjan… Cette transformation est portée par une action publique volontariste : réformes fiscales, mobilisation des partenariats publics-privés, avec plus de soixante-dix projets structurants impulsés par le Comité National des Partenariats Public-Privé. Conséquence logique, la Côte d’Ivoire attire investissements et talents, consolidant son rôle de plateforme entre l’Afrique francophone, l’Europe, le Golfe, l’Asie et l’Amérique latine.

Des élections sous haute tension

Ce rayonnement économique nourrit aussi des ambitions… À l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 2025, la Côte d’Ivoire est la cible d’une intensification des campagnes de désinformation. Les réseaux sociaux bruissent de rumeurs savamment entretenues : certains désignent le Burkina Faso voisin, d’autres évoquent l’implication d’acteurs plus éloignés, cherchant à affaiblir la stabilité ivoirienne et à redessiner, à leur avantage, la carte géopolitique ouest-africaine. L’objectif de ces « guerres de l’ombre » est clair : miner l’influence ivoirienne et fragiliser l’image du président Alassane Ouattara, au moment où s’ouvre à Abidjan le procès de l’ancien aide de camp de Guillaume Soro, accusé d’avoir fomenté une tentative de coup d’État en 2022.

La scène politique intérieure, elle aussi, demeure complexe. L’ombre de l’ancien président Laurent Gbagbo continue de peser, et l’ancien candidat Tidjane Thiam, récemment condamné, ne serait vraisemblablement pas parvenu à fédérer son propre parti, le PDCI, même s’il avait pu se présenter. Si les partenaires internationaux et les rédactions occidentales suivent de près l’évolution de la situation, il sera essentiel, dans les prochains mois, de distinguer clairement les dynamiques politiques « naturelles » du pays des tentatives de manipulation informationnelle — afin d’éviter que les médias ne deviennent malgré eux des relais de désinformation.

Quant au Président, s’il n’a pas encore annoncé officiellement se représenter, on sait déjà qu’il peut compter sur sa garde rapprochée. Et au rang de celle-ci, son discret mais influent ami et fidèle allié, l’homme de Lettres, ancien journaliste, député puis Ambassadeur de la Côte d’Ivoire à Paris, Ally Coulibaly, actuel Grand Chancelier de l’Ordre. Ce proche conseiller qui fut son Ministre des Affaires étrangères souffle à son oreille et connaît les rouages de la politique, intérieure comme extérieure…

La désinformation, nouvelle arme stratégique

Depuis plusieurs mois, la Côte d’Ivoire est devenue un laboratoire de la guerre informationnelle. Les campagnes de désinformation s’intensifient : vidéos truquées, prolifération de comptes anonymes sur WhatsApp, sites d’information fictifs relayant de fausses déclarations. Ce scénario désormais classique voit des puissances extérieures, parfois par l’intermédiaire de proxys régionaux, chercher à exploiter les fractures internes pour ralentir l’élan ivoirien…

Une riposte structurée : le rôle clé du ministère de la communication

Le gouvernement n’est pas resté passif. Sous l’autorité d’Amadou Coulibaly, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, une stratégie d’ensemble a été déployée, articulée autour de deux axes principaux.
Premier axe : celui de la sensibilisation citoyenne avec l’introduction de modules d’éducation aux médias dans les lycées, campagnes de spots radio et numériques pour renforcer l’esprit critique face aux infox.
Second axe : la coopération cyber. Il s’agit d’un travail conjoint entre le ministère de la Communication et l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI), qui surveille les réseaux sociaux, collabore avec les grandes plateformes numériques et sécurise les infrastructures étatiques.

Un laboratoire d’observation internationale

Cette double approche fait aujourd’hui de la Côte d’Ivoire un cas d’étude pour les spécialistes du soft power et de la diplomatie numérique. À l’image des dispositifs européens, comme celui de l’Agence Nationale de Lutte contre les Manipulations de l’Information en France (au sein du SGDSN), Abidjan développe une territorialisation de la lutte contre les offensives informationnelles tout en maintenant une posture d’équilibre diplomatique.
La priorité n’est plus seulement d’identifier et neutraliser les contenus « manipulés », mais de préserver la confiance des citoyens et de la diaspora envers les institutions nationales. Dans cette optique, il sera déterminant de transformer les discours de transparence et d’inclusion en actes concrets, afin que les nouveaux partenariats économiques — qu’ils viennent du Golfe, de l’Asie ou de l’Amérique latine — s’inscrivent dans une dynamique durable, aux côtés des partenaires traditionnels africains et européens.

Un modèle pour l’Afrique ?

À l’approche des échéances électorales, trois défis majeurs se dessinent : différencier de manière rigoureuse la critique légitime des tentatives de manipulation, renforcer la résilience citoyenne face aux infox  et garantir que toute communication officielle soit perçue comme crédible et fiable…
Si la Côte d’Ivoire parvient à conjuguer influence diplomatique, innovation en matière de cybersécurité et adhésion populaire, elle pourrait devenir un modèle africain de gestion de l’espace informationnel et politique, observé et étudié par les investisseurs du Golfe, les stratèges européens et les acteurs de la Silicon Valley.

Les prochains mois seront décisifs. Alors que le continent africain recompose ses alliances, Abidjan reste sous haute surveillance — scrutée à la fois par les néo-puissances du « Sud global » et par les capitales occidentales traditionnelles.

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