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Les Européens face au défi du réveil économique

Professeur d’économie à HEC, associé-gérant et Directeur général de Lazard Frères Banque, Olivier Klein considère que l’Europe doit repenser sa manière de financer ses besoins colossaux d’investissement afin de rester dans la course des grandes puissances.

Marc Ferracci(9)

Comment financer son avenir pour continuer d’exister ? Cette question ne cesse de tarauder décideurs, politiques et économistes européens. Si l’Europe ambitionne de rester une grande puissance et de rivaliser avec les Etats-Unis et le nouveau géant chinois, ses besoins d’investissement sont vertigineux. Professeur d’économie à HEC, associé-gérant et Directeur général de Lazard Frères Banque, Olivier Klein a apporté sa pierre à l’édifice de la réflexion, lors de l’émission « les décideurs engagés de l’Assurance et de la Banque » de l’Institut de formation de la profession de l’assurance (IFPASS), réalisée en partenariat avec l’Hémicycle.

Car il est urgent de trouver des pistes, tant le retard pris par l’Europe commence à coûter cher. Pendant longtemps, l’Union européenne (UE) a cru pouvoir jouer un rôle mondial en misant sur la norme, la régulation et la prudence. Résultat : un tissu industriel affaibli, des secteurs d’avenir dominés par la Chine et par les États-Unis, et des besoins de financement qui explosent partout. Selon le rapport réalisé par l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi en 2024, il manquerait environ 800 milliards d’euros d’investissement pour que l’Europe rattrape son retard. « Pour moi ce chiffre est largement sous-estimé », estime Olivier Klein. En effet, l’Allemagne, à elle seule, vient de débloquer entre 500 et 800 milliards d’euros à ces mêmes fins. Et pour cause, les défis sont nombreux !

Retard considérable

Le premier est climatique. Si la transition énergétique est sur toutes les lèvres, son financement réel reste largement insuffisant. Il ne s’agit pas seulement de décarboner l’économie, mais aussi de structurer des filières industrielles capables de produire localement selon des normes strictes. La question énergétique inclut aussi le nucléaire, longtemps marginalisé, mais aujourd’hui reconnu comme un pilier de la souveraineté énergétique.

Le deuxième grand enjeu est technologique. En matière d’intelligence artificielle, de cloud, de robotique ou encore de semi-conducteurs, l’Europe accuse un retard considérable. « On a été compétitifs sur les industries du passé, beaucoup moins sur celles de l’avenir », constate Olivier Klein. Et pour lui, il est même peut-être déjà trop tard. « Mieux vaudrait se positionner en amont, sur des technologies émergentes comme l’informatique quantique », avance-t-il. Enfin, avec la montée récente des tensions internationales, le troisième défi concerne le réarmement et la réindustrialisation militaire.

Double désavantage

Si l’Europe peine à rivaliser, c’est en partie parce qu’elle a confondu leadership normatif et puissance économique. « On a imposé des normes, souvent justifiées, mais sans se doter des outils industriels pour y répondre », analyse Olivier Klein. L’exemple du secteur automobile est parlant : l’interdiction accélérée des moteurs thermiques a favorisé les véhicules électriques… dont les batteries sont dominées par la Chine, qui contrôle 70 % de l’extraction et 90 % du raffinage des terres rares.

« L’Europe est un continent vieillissant, où la demande de sécurité l’emporte souvent sur celle de dynamisme et d’innovation », constate le professeur d’économie. Petit à petit, la culture de précaution a pris le pas sur la culture du risque. À cela s’ajoute une fragmentation réglementaire qui freine la montée en puissance des entreprises. « L’Europe n’a pas su faire un marché unique sur certains secteurs », constate Olivier Klein. Le marché européen reste entravé par des barrières non tarifaires. Selon le rapport Drahi, l’effet de ces obstacles équivaut « à 45 % de droits de douane internes ». Même au sein du marché unique, les entreprises européennes doivent faire face à une hétérogénéité réglementaire qui affaiblit leur compétitivité.

« Je suis favorable à un marché unique financier, mais ce n’est pas une condition suffisante », argumente Olivier Klein. « Avant la crise de la zone euro de 2010-2012, les capitaux circulaient déjà efficacement entre les pays du Nord, qui dégageaient de l’excédent d’épargne et l’investissaient dans les pays du Sud, lesquels avaient un déficit de balance courante, et ceci sans marché totalement intégré », rappelle l’économiste.

Changement de culture

Aujourd’hui, les pays du sud ayant rééquilibré leur balance commerciale, l’excèdent d’épargne de l’UE est considérable : plus de 400 milliards d’euros en 2024, selon les chiffres avancés par le gouverneur de la Banque de  France, François Villeroy de Galhau. Or, cette manne financière est investie massivement aux Etats-Unis, où la rentabilité, l’innovation et la croissance sont au rendez-vous.

Alors, comment faire pour garder cet excédent d’épargne en Europe ? Pour Olivier Klein, il faut s’attaquer aux causes profondes, en se lançant dans une simplification administrative, en favorisant les conditions de croissance des entreprises, mais aussi en changeant la culture financière européenne. Il faut aussi, selon le professeur d’HEC, réorienter l’épargne longue de précaution vers une épargne plus risquée. Pour cela, la France doit sécuriser la retraite par répartition « en alignant l’évolution de l’âge de la retraite sur l’allongement de l’espérance de vie en bonne santé » et créer « en complément des fonds de pension ».  Il existe également, selon Olivier Klein, d’autres mesures techniques à court terme : par exemple, réformer la fiscalité de l’assurance-vie pour encourager les investissements vers les entreprises plutôt que les supports garantis, élargir les plafonds du PEA (Plan d’Épargne en Actions) ou encore créer des incitations fiscales claires à l’épargne longue et productive.

Dans un monde où le rapport de force revient au premier plan, « l’Europe n’a plus le luxe de l’inaction », pour reprendre l’expression d’Olivier Klein. Si elle ne parvient pas à redevenir une puissance économique, technologique et militaire, elle continuera à perdre de l’influence, même dans les régions du monde où elle fut longtemps un acteur central. « Lorsque j’étais patron de la BRED et que j’allais voir les filiales dans les pays émergents, que ce soit dans le Pacifique, en Afrique comme en Asie du sud-est, on me demandait sans cesse : où est l’Europe ?», raconte-t-il. Il est grand temps, pour elle, de répondre à la question.

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