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Décarboner la route, une grande cause nationale

L’Hémicycle a organisé un colloque à Sciences Po sur ce thème majeur, qui reste trop peu exploré par les pouvoirs publics.

Cyrille Dupont / The Pulses

La décarbonation du transport routier reste un angle mort des politiques publiques. Dans une tribune au journal Le Monde, le politiste François Gemenne souligne que cet enjeu, pourtant majeur compte tenu de l’importance des émissions de gaz à effet de serre qu’il produit, reste ignoré des pouvoirs publics. La veille, dans une tribune publiée dans le JDD, il avait, avec de nombreux autres experts, appelé à une mobilisation de tous les acteurs pour que ce défi devienne une « grande cause nationale ». 

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Rédacteur principal du dernier rapport du GIEC, François Gemenne a introduit le colloque de L’Hémicycle consacré justement à ce sujet, mardi 20 juin, à Sciences Po Paris – en partenariat avec Mobilettre, le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp) et le soutien de VINCI Autoroutes. Comme il l’a indiqué dans son appel, les chiffres sont clairs : « La mobilité routière concentre plus de 80% des déplacements de voyageurs et de marchandises. Elles sont responsables de 95% des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, le seul dont les émissions ont continué d’augmenter depuis trente ans. Quels que soient les scenarii, elle restera prépondérante dans les prochaines décennies car, au regard des usages, le report modal vers le train ne suffira pas ». Et le professeur de sciences politiques de marteler : « Nous n’avons pas le temps d’attendre 2035. Si nous n’attaquons pas frontalement la question des émissions du transport routier, il n’y a absolument aucune chance que la France atteigne les objectifs de décarbonation qu’elle s’est fixée dans la cadre de la stratégie nationale bas carbone et de FitFor55  ». 

Le temps presse, en effet, car tous les usages de la route doivent être repensés. Or, les solutions existent et sont prêtes à être activées, selon tous les experts présents : électrification des véhicules légers, déploiement massif de bornes de recharge sur les réseaux, développement du covoiturage et du transport collectif sur route et sur autoroute, adaptation des infrastructures et des services à la multimodalité, préfiguration de route électrique pour les camions… 

« C’est un sujet qui nécessite l’alliance des intelligences et des énergies », a souligné Christophe Béchu. Selon le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, qui a conclu les travaux, il faut jouer sur trois leviers : la sobriété, l’efficacité et l’innovation. Et de poursuivre : « Quand on sait qu’en France, 53% des trajets de moins de deux kilomètres sont effectués en voiture, il y a urgence à proposer des alternatives. Le report modal passe par le développement des RER métropolitains, voulus par le président de la République, mais aussi par les mobilités actives – au développement extrêmement rapide (+ 40% en trois ans) – que le gouvernement s’efforce d’accompagner au travers d’un plan vélo, doté de 50 millions d’euros lors de son lancement, en 2018, et qui bénéficie désormais de 250 millions d’euros annuels ».

Au cœur de « l’efficacité », il y a la lutte contre l’autosolisme, une tendance que renforce l’étalement urbain. Le covoiturage est un premier levier d’action. Le ministre a rappelé que 91% des trajets domicile/travail se font individuellement et que sur les 100 millions de trajets quotidiens, seuls trois millions s’effectuent en covoiturage. « C’est dire les marges de progression que nous avons dans ce domaine-là », a-t-il souligné. Grâce à la mise en place d’aides diverses aux plateformes de covoiturage, cette pratique a toutefois progressé de 25% ces cinq derniers mois. Limiter la vitesse sur les routes est un autre levier en termes de décarbonation, mais il serait délicat de l’étendre, compte tenu de la sensibilité des Français sur ce sujet. Reste l’aménagement des villes : un aménagement plus dense permettrait d’explorer d’autres pistes en termes de mobilités.

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Nécessaires, ces leviers restent toutefois insuffisants pour atteindre les objectifs. Il faut donc innover et, parmi les innovations, il y a l’électrification du parc automobile. Un défi « gigantesque, mais réjouissant », selon le ministre. Qu’on en juge : il existe en France 38,7 millions d’automobiles, mais 1% d’entre elles seulement sont électriques… Néanmoins, facteur encourageant, au premier semestre 2023, 18% des véhicules vendus sont équipés de batteries électriques. Alors que l’Union européenne a fixé l’objectif de voir s’arrêter, en 2035, les ventes de voitures neuves, diesel, hybrides, tout le secteur doit s’adapter à la nouvelle donne. Et vite. Un passage au tout électrique suppose en effet que la production de composants et de batteries suive la demande. Or, dans l’Hexagone, les infrastructures ne sont pas encore prêtes à accueillir autant d’automobiles qui ont besoin de recharger leurs batteries. Pour l’instant, on est loin du compte, comme l’a rappelé Aurélien De Meaux, PDG d’Electra. Si la transition est urgente, elle doit toutefois se faire en « responsabilité », a insisté Christophe Béchu : « Il ne peut y avoir de transition écologique qui ne se préoccupe pas à la fois de la transition économique et industrielle, qui génère de la richesse qu’on peut redistribuer de manière à assurer le financement d’une transition qui puisse être socialement juste ». Le défi de la décarbonation tient dans le fait « d’accompagner la transition de ces 38 millions de véhicules sans faire disparaître une industrie qui fait la fierté de notre continent, qui génère des emplois et qui nous rapportent des impôts ». 

A l’issue d’un conseil de planification écologique, qui se tiendra début juillet en présence de la Première ministre et du président de la République, seront présentés des trajectoires de décarbonation, afin d’atteindre l’objectif, en 2030, de réduire de 55% nos émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. De ces conclusions découleront des actions, des politiques publiques et des budgets permettant à la France de ne pas dépasser le plafond de 270 millions de tonnes équivalent CO2 (contre 400 millions aujourd’hui), pallier intermédiaire, avant d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

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